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aux guerriers, aux hommes d’état, aux poètes, qui représentent le génie militaire, politique et poétique de l’ancienne maîtresse du monde. Parmi les héros de l’antiquité, Scipion l’Africain avait surtout captivé l’attention et la sympathie de Pétrarque ; l’alliance du courage et de la pureté morale l’avait particulièrement séduit. Ce héros devint pour Pétrarque le sujet d’une épopée latine. Ce poème, connu sous le nom d’Africa, mais qui compte aujourd’hui bien peu de lecteurs, fut au XIVe siècle, il faut bien le dire, quelque étrange que puisse paraître un tel fait, le principal ou plutôt l’unique fondement de la gloire poétique de Pétrarque. Je ne veux pas en conclure, à Dieu ne plaise ! que ses vers en langue vulgaire n’eussent, de son vivant, aucune célébrité ; ce serait faire au goût de ses contemporains une injure gratuite. Pourtant, quel que fût le charme, quel que fût le succès, quelle que fût même, si l’on veut, la popularité de ses sonnets et de ses canzoni, qu’il, désigne dans ses œuvres latines sous le nom de jolies bagatelles, ni les sonnets ni les canzoni n’auraient donné à Pétrarque la couronne poétique du Capitole. Ces créations spontanées de son génie étaient acceptées comme de simples délassemens, et personne ne songeait à y voir un titre de gloire vraiment sérieux.

Ce fut l’Afrique, l’Afrique seule, qui décida le couronnement de Pétrarque. Et pourtant ce poème était loin d’être achevé : à peine l’auteur en avait-il écrit quelques centaines de vers ; mais ces vers, copiés à la hâte, lus et relus avidement, étaient alors un événement littéraire de la plus haute importance : une épopée, une épopée latine, une lutte corps à corps avec l’auteur de l’Enéide, il y avait là de quoi émouvoir, de quoi étonner, de quoi passionner l’Europe savante, et la manière dont cette nouvelle fut accueillie le prouve bien. Le même jour, presque à la même heure, Pétrarque reçut du sénat de Rome et de l’université de Paris des lettres qui l’invitaient à venir recevoir la couronne poétique. Il hésita quelque temps entre l’université de Paris et le sénat de Rome ; après avoir pris conseil de son meilleur, de son plus fidèle ami, de Giacomo Colonna, il se décida pour le sénat de Rome. Cependant il ne voulut pas franchir les degrés du Capitole avant d’avoir consulté sur le mérite de son poème Robert, roi de Naples, qui passait alors pour un des plus savans hommes de son temps. Il lut au roi Robert les premiers chants de l’Afrique, et soutint pendant trois jours un examen public sur la plupart des connaissances humaines. Après cette épreuve dont il sortit triomphant, il se crut vraiment digne d’être couronné au Capitole, et ne douta plus de lui-même. Le roi Robert l’ayant prié de lui dédier son poème de l’Afrique, il se rendit à ses instances avec empressement. Le couronnement de Pétrarque se fit à Rome en 1341 avec une pompe, une splendeur capables de satisfaire l’ame la plus ambitieuse. L’orgueil le plus exigeant devait être content d’un