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car, cette femme et moi, nous sommes le fruit d’un seul enfantement ; elle est née la première, et je suis venue après elle. Ainsi qu’il a plu à notre Père éternel, chacune de nous deux est née immortelle. Malheureux ! à quoi vous sert notre immortalité ? Il valait mieux pour vous que l’imperfection fût de notre côté. Pendant quelque temps, nous avons été aimées, belles, jeunes, gracieuses ; maintenant nous sommes réduites à un tel état, que cette femme bat des ailes pour retourner à son antique asile. Pour moi, je suis une ombre, et je t’ai dit maintenant tout ce que je pouvais te dire en si peu de paroles. — Quand ses pieds furent mis en mouvement : Ne crains pas, me dit-elle, que je m’éloigne. Elle cueillit une guirlande de vert laurier, et de ses mains en ceignit mes tempes. »

Il est inutile d’ajouter que la sœur aînée de la Gloire n’est autre que la Vertu.

Les poèmes de Pétrarque désignés par le nom collectif de Triomphes sont moins célèbres et comptent moins de lecteurs que les sonnets et les canzoni. Cependant ils méritent d’être étudiés, et le troisième surtout, le Triomphe de la Mort, offre de grandes beautés. Le but commun de ces poèmes est de prouver que l’amour triomphe de l’homme, la chasteté de l’amour, la mort de l’amour et de la chasteté, la renommée de la mort, le temps de la renommée, et l’éternité du temps. Il est certain que la démonstration de cette thèse ne semble pas offrir à la poésie des ressources bien variées ; mais la figure de Laure nomme les Triomphes, et cela suffit pour animer cette série de compositions dont le sujet a quelque chose de scolastique. Le Triomphe de la Mort, où le poète raconte la mort de Laure, est assurément un des morceaux les plus parfaits qui soient sortis de sa plume. Écrit en tercets, comme la Divine Comédie, il soutient sans désavantage la comparaison. Ce mètre grave et simple est d’ailleurs commun à toute la série des Triomphes. Jamais le talent de Pétrarque ne s’est élevé plus haut qu’en racontant la mort de Laure. On sent dans ce récit une béatitude angélique, un parfum de piété, qui donne à chaque tercet un caractère presque surnaturel. « Toutes ses amies étaient rangées autour d’elle ; alors avec sa main la mort arracha de cette blonde tête un cheveu d’or. Ainsi elle choisit la plus belle fleur du monde, non par haine, mais pour montrer plus clairement sa puissance dans les choses élevées. Combien de sanglots, combien de larmes répandues, tandis que demeuraient secs ces beaux yeux pour lesquels j’ai brûlé si long-temps, pour lesquels j’ai tant chanté ! Au milieu de tant de soupirs, de tant de gémissemens, elle seule était assise dans le silence et dans la joie, cueillant déjà les fruits de sa belle vie. Véritable déesse mortelle, pars en paix, disaient-elles, et c’était vraiment une déesse ; mais sa divinité ne la défendit pas contre la