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mort inexorable. C’était la première heure du sixième jour d’avril, de ce jour qui me fit prisonnier et qui maintenant me délivre ; jamais personne ne s’est plaint de l’esclavage et de la mort comme je me plains de la liberté qui m’est rendue et de la vie qui me reste. La mort devait au monde, la mort devait à mon âge de me prendre le premier, moi qui étais venu le premier. Pourquoi ravir à la terre son plus bel ornement ? La vertu est morte et avec elle la beauté, disaient tristement les femmes réunies autour de son chaste lit. Son ame en s’échappant de ce beau sein avait purifié le ciel sur son passage. Non comme une flamme éteinte violemment, mais comme une flamme qui se consume d’elle-même, son ame joyeuse s’en alla en paix. Plus blanche que la neige qui tombe à flocons sur une belle colline sans être chassée par le vent, elle paraissait se reposer comme une personne fatiguée. Ce que la foule ignorante appelle mourir n’était dans ses beaux yeux qu’un doux sommeil, quand son ame avait abandonné son corps. La mort paraissait belle sur son beau visage. »

Le second chapitre du Triomphe de la Mort offre encore plus d’intérêt que le premier. Il nous explique le cœur de Laure avec une franchise et une chasteté qui ne laissent aucun doute sur la nature et les limites de cette mutuelle passion, « Ma mort, qui t’afflige, dit Laure à son amant, te remplirait de joie, si tu sentais la millième partie de mon bonheur. Quand j’avais toute ma beauté, toute ma jeunesse, quand je t’étais le plus chère, la vie m’était presque amère, comparée à cette mort douce et clémente, si rare parmi les mortels. A l’heure suprême du départ, j’étais plus joyeuse que celui qui revient de l’exil au toit paternel. Seulement je me sentais prise de pitié pour toi. Jamais, dit-elle en soupirant, mon cœur ne fut séparé du tien, jamais il ne le sera ; mais je modérai ta flamme avec mon visage, parce qu’il n’y avait aucun autre moyen de nous sauver tous deux. Combien de fois me suis je dit : Il aime, il brûle ; il faut maintenant que je pourvoie au danger ; qu’il voie mon visage et qu’il ne voie pas le fond de mon cœur ! C’est là ce qui souvent t’a ramené en arrière, et t’a étreint comme le frein un cheval qui s’égare. Plus de mille fois la colère se peignit sur mon visage, tandis que l’amour brûlait mon cœur ; mais jamais en moi le désir ne vainquit la raison. Puis, quand je te voyais vaincu par la douleur, je levais doucement mes yeux sur toi, sauvant ainsi ta vie et notre honneur. Ce furent là mes ruses et mes artifices avec toi, tantôt un accueil bienveillant, tantôt la colère. Parfois je voyais tes yeux tellement remplis de larmes, que je me disais : Il va mourir si je ne viens à son secours. Alors je te secourais sans manquer à l’honneur. Parfois je te voyais de tels éperons au flanc, que je me disais : Il faut ici un mors plus dur. Ainsi ardent et vermeil, pâle et glacé, tantôt triste, tantôt