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dans les formules de leur admiration, quelque chose de conventionnel qui vient de la mémoire, ou plutôt qui appartient à la langue. Najaf parfume ses descriptions avec la phraséologie ordinaire de ses poèmes, qu’il emprunte toute faite, le classique qu’il est, à Sadi, à Ferdousi, à Hafiz. « C’est ici le premier étage du paradis ; la lune majestueuse verse sa lueur sur les roses gardées par de mélodieux rossignols. Les roses de l’Angleterre ressemblent aux joues de ses habitans. » L’impuissance de décrire se trahit par la profusion des hyperboles. Najaf fait comme cet artiste antique, qui, désespérant de ses pinceaux, jette sur la toile son éponge imprégnée de toutes les couleurs. Il va jusqu’à exalter, le croira-t-on ? la gaieté de nos voisins d’outre-Manche. « Comme le vin rouge dans une coupe d’or, ainsi brille la gaieté des Anglais, et leurs belles figures ressemblent à la pleine lune à son lever. » Il s’extasie avec plus de raison sur ce brillant éclairage « qui n’est produit ni par l’huile ni par aucun autre liquide, mais par l’esprit de charbon, que de longs tuyaux conduisent à chaque endroit ; ce qui fait que, dans tout l’empire, la nuit est changée en jour. » L’auteur eût pu dire le contraire avec autant de vérité, s’il se fût promené à dix heures du matin au milieu des brouillards enfumés de la Tamise.

La surprise des constructeurs parsis ne fut pas moins vive pour être exprimée d’une façon plus européenne. Il était presque nuit quand ils arrivèrent à Londres, et, malgré cette circonstance, la foule se rassembla autour d’eux pour regarder leur costume. Les deux cousins étaient accompagnés d’un ami et de deux domestiques ; tous les cinq portaient le vêtement des parsis. C’était quatre fois plus qu’il n’en fallait pour attrouper les cockneys, de Londres. Les étrangers eurent quelque peine à fendre la presse pour arriver à Portland hotel, où ils devaient descendre. La multitude immense des passans, les voitures de tout genre qu’ils voyaient courir çà et là et qui paraissaient se hâter d’arriver, le bruit qui croissait sans cesse, leur firent croire qu’il y avait quelque émeute dans la ville ou quelque grand spectacle où tout le monde affluait. Cependant ils ne pouvaient s’expliquer comment ceux qui allaient à droite semblaient aussi pressés que ceux qui se dirigeaient vers la gauche. Chaque rue où ils jetaient les yeux leur paraissait une rivière qui versait son contingent de foule. Quelle fut leur admiration et quelle idée ne conçurent-ils pas de la grandeur de Londres, quand ils apprirent qu’on pouvait voir un pareil flux d’êtres humains chaque jour pendant douze ou quatorze heures !

L’esprit positif et pratique des constructeurs hindous alla bientôt saisir, au milieu de tout ce bruit, la source véritable de la grandeur anglaise. En fixant leurs regards sur la Tamise, ce ruisseau si petit auprès du Gange et de l’Indus, ils remarquèrent une foule presque aussi compacte que celle qu’ils avaient traversée dans les rues. Ce n’étaient, de tous côtés,