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sentiment du beau, cette aspiration sans fin vers l’idéal, vrai titre de noblesse de l’homme : c’est que nos beaux-arts ne satisfont pas en eux ce besoin. Il ne faut pas croire que la musique et même la peinture soient des langages naturels, qui ne doivent à la convention aucun de leurs élémens. Il en est d’elles comme de la poésie, dans une proportion différente ; elles ne créent pas en nous l’image du beau de toutes pièces ; elles l’édifient avec les matériaux déjà déposés dans notre ame ; elles vont y chercher les idées, les souvenirs, les sentimens qu’ont fait naître l’éducation, les usages, les préjugés, et de ce composé d’erreurs ou de vérités contestables, elles font jaillir en nous la vérité suprême, le sentiment divin de la beauté. Toute œuvre d’art a sa perspective, son point fatal, duquel il faut la contempler : un peu plus haut, un peu plus bas, l’harmonie se brise, l’illusion disparaît. C’est ce qui fait que les créations de l’antiquité sont intraduisibles ; pour les rendre, il ne suffirait pas de substituer des mots aux mots ; il faudrait, par une métamorphose impossible, nous prêter pour un moment d’autres habitudes d’intelligence, d’autres opinions, d’autres mœurs. M. de Châteaubriand suppose, dans ses Natchez, que le Huron Chactas est délicieusement ému par une représentation de Phédre. « Je crus entendre, » lui fait-il dire, « la musique du ciel ; c’était quelque chose qui ressemblait à des airs divins, et cependant ce n’était point un véritable chant ; c’était je ne sais quoi qui tenait le milieu entre le chant et la parole… Les passions que vous appelez tragiques sont communes à tous les peuples, et peuvent être entendues d’un Natchez et d’un Français. » Chactas est un sauvage exceptionnel et digne des petits soupers de l’Ikouessen Ninon. Nos touristes orientaux ont reçu en naissant de Melpomène un coup d’œil moins favorable. À peine arrivés à Londres, les princes persans furent conduits à la maison du plaisir et de la musique, qu’on appelle en langage franc l’opéra (à Queen’s Theatre). Ils. furent, vivement frappés du coup d’œil que présentait la salle, des draperies qui garnissaient les loges, du splendide éclairage qui les inondait de lumière, des jeunes dames au visage semblable à la pleine lune, et dont la beauté éclipsait l’illumination du soleil. Ils remarquèrent aussi des endroits déterminés autour de la salle où étaient des femmes d’une grande beauté, avec des bras pareils au jasmin, et des figures semblables à un brillant miroir. Ces : charmantes personnes vendaient des rafraîchissemens. En somme, ce lieu enchanté fournissait tout ce qui nourrit l’ame et le corps. Quant à la musique qu’ils y entendirent, Najaf en parle peu dans son journal, où il se croit pourtant obligé d’admirer tout par politesse, et M. Fraser, l’introducteur, le guide officiel des jeunes princes, nous apprend qu’elle leur parut insupportable. Notez que ce n’étaient point des artistes anglais. On entendit d’abord Lablache, et quand M. Fraser leur demanda ce qu’ils pensaient de lui : « . Ce n’est rien