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un visible plaisir. — Bravo ! (aférin !) s’écriait l’aîné ; voilà le morceau qu’on nous jouait en engageant la bataille. Qui pourrait résister à cela ? — En effet, nous dit M. Fraser, c’était à faire fuir toute une armée, surtout si elle eût aimé la bonne musique. Cela ressemblait plutôt au bruit d’un certain nombre de pots cassés qu’on agiterait ensemble qu’au fracas imposant d’une bataille. — Eh bien ! dit en anglais un interprète qui se trouvait présent, il y a vingt ans que je suis en Angleterre, je comprends et je goûte la musique européenne ; cependant telle est la force des premières impressions, qu’il n’y a pas pour moi de musique supérieure à celle-ci.

Voulons-nous maintenant avoir par la comparaison une idée de ce que peut être une mélodie persane : un soir, les princes se trouvaient au bal calédonien. Fatigués bientôt de la chaleur et de la foule, ils se disposaient à sortir, quand arrivèrent trois cornemuses écossaises qui entonnèrent un pibrach national. Qu’est-ce que cela ? dirent les princes. C’est de la musique persane ! de la musique de notre pays ! Les artistes pressèrent la mesure ; les princes ne se contenaient plus ; leurs yeux s’humectèrent de larmes, leurs têtes, leurs mains, leurs pieds, suivaient le mouvement. Heureusement le pibrach cessa bientôt, car leur bruyant enthousiasme aurait mis le trouble dans toute la réunion.

Les constructeurs de Bombay portèrent à Queen’s Theatre des dispositions encore moins favorables. Le sentiment de l’art, qui, chez les princes persans, manquait seulement d’un certain genre de culture, semble, chez eux, avoir été étouffé par la culture exclusive d’une autre faculté. L’étude des nombres, la mesure des angles, l’adoration fanatique de l’utile, ne laissent dans leur pensée aucune place pour le beau. Ils remarquent les loges, le gaz, les toilettes, disent en passant un mot poli à la musique ; puis ils nous donnent avec exactitude la mesure du théâtre en hauteur et en profondeur, le nombre des places que contiennent les loges et le parterre, avec les différens prix que l’on paie au bureau. Quant au spectacle, ils font pis que de n’en point parler ; voici ce qu’ils osent écrire :


« C’était le dernier jour où Taglioni, la danseuse favorite des Français, devait danser en Angleterre, et un ami anglais qui nous accompagnait nous demandait souvent comment nous trouvions sa danse : pour sa part, il en était enchanté. Quant à nous, cela nous semblait avoir fort peu d’intérêt, et nous fûmes très surpris d’apprendre que, chaque fois qu’elle paraissait sur la scène, on lui comptait 150 guinées. Pensez donc ! 150 guinées par jour, données en Angleterre à une femme pour se tenir long-temps sur un pied, comme une oie, puis pour étendre une jambe horizontalement, pour pirouetter ainsi trois ou quatre fois sur elle-même, pour faire la révérence si bas qu’elle paraît s’asseoir par terre, pour bondir parfois d’un bout du théâtre à l’autre, toutes simagrées qui ne lui demandent pas plus d’une heure de travail !… Si nous n’avions pas vu ailleurs