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qui promettait d’être piquant de la lutte de Beaumarchais contre le parlement Maupeou par cette apostrophe : « Puissans de la terre, gardez que votre bras n’atteigne un homme de génie ! Si un tel homme se trouve enveloppé dans quelque injustice, sa seule indignation est capable d’engendrer des événemens. Un moine irrité peut changer la face du catholicisme, si ce moine s’appelle Luther. Un particulier aux prises avec toute une magistrature peut la jeter par terre, s’il s’appelle Beaumarchais… » Bon Dieu ! c’est trop de fracas pour Figaro. Faut-il donc évoquer ici Luther, et ne pouvons-nous prendre les choses plus simplement ? M. Louis Blanc a besoin de temps et d’efforts pour arriver à une allure naturelle ; jusqu’à présent, c’est plutôt un avocat qu’un historien, et l’on s’aperçoit qu’il prête plutôt sa plume aux opinions d’un parti qu’il ne pense par lui-même. Nous désirons vivement que des études plus approfondies, que la réflexion et une plus grande expérience de la vie permettent à l’écrivain de s’élever peu à peu à la gravité de l’histoire, et qu’il mûrisse son talent à l’école impartiale des faits. N’aura-t-il que d’injustes préventions contre la bourgeoisie en face des grands travaux de la constituante, magnifique sujet qu’il est possible de traiter à fond aujourd’hui ? Depuis plus d’un demi-siècle, les théories et les créations de nos pères ont été soumises à l’épreuve de la pratique, à des changemens reconnus nécessaires. Que d’enseignemens ! que de matériaux ! Une histoire de la constituante qui présenterait à côté des événemens révolutionnaires une exposition critique de notre organisation administrative aurait une grande valeur politique.

Nous pouvons d’autant mieux proposer un pareil but à l’ambition de quelque esprit sérieux, qu’un sujet aussi considérable a été presque entièrement négligé dans l’histoire de la révolution française que compose en ce moment M. Michelet. Le premier volume, qu’il vient de publier, embrasse un espace de six mois, depuis le 5 mai 1789 jusqu’aux 5 et 6 octobre. Cet espace est rempli par de grands débats et d’importans travaux parlementaires. Jeter les bases d’une constitution, arrêter les principes d’une déclaration des droits, organiser le pouvoir judiciaire, réformer la législation criminelle, sonder l’abîme ouvert par la pénurie des finances, voilà quelles étaient alors les pensées et les occupations principales de l’assemblée constituante. Non-seulement M. Michelet s’y arrête peu, non-seulement il n’expose pas les discussions auxquelles se livre l’assemblée, mais il en fait un chef d’accusation contre elle. « L’assemblée nationale, dit M. Michelet, ne souffrait pas assez des souffrances du peuple ; autrement elle eût moins traîné dans l’éternel débat de sa scholastique politique… Tout le monde voyait la question, l’assemblée ne la voyait pas… Retardée par les résistances royalistes, aristocratiques, qu’elle portait dans son sein, elle l’était encore par les habitudes de barreau ou d’académie que conservaient ses