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M. Michelet, que la révolution est nécessairement hostile au christianisme, et que l’un des deux principes doit dévorer l’autre ? La nature des choses et l’expérience de l’histoire répondent, au contraire, qu’ils doivent et peuvent coexister dans le mutuel respect de leur indépendance. M. Michelet est dans un mouvement ou plutôt dans un vertige d’esprit qui lui fait tout confondre. Ne compare-t-il pas le dogme chrétien de la prédestination au favoritisme de l’ancienne monarchie ? Il revient, il insiste sur cette comparaison par ce singulier jeu de mots : « La religion de la grace, partiale pour les élus, le gouvernement de la grace, dans les mains des favoris, sont tout-à-fait analogues. » Voilà où en est aujourd’hui la critique philosophique et historique de M. Michelet.

Il est toutefois un point de son introduction qui nous procure le plaisir, malheureusement trop rare, d’être d’accord avec lui : c’est le jugement qu’il porte sur la grandeur du XVIIIe siècle et sur le génie de ses représentans illustres, Montesquieu, Voltaire et Rousseau. M. Michelet n’a pas toujours eu le même enthousiasme. En 1835, la philosophie du XVIIIe siècle s’appelait dans les livres de M. Michelet[1] philosophisme. Montesquieu, que l’écrivain considère avec raison aujourd’hui comme le représentant de l’idée du droit, n’était alors, à ses yeux, que l’auteur d’une théorie matérialiste de la législation déduite de l’influence des climats. M. Michelet ne trouve pas maintenant de termes qui puissent exprimer son admiration, son idolâtrie pour Voltaire ; il s’écrie : « Vieil athlète, à toi la couronne… Te voici encore, vainqueur des vainqueurs ! » En 1835, il était très avare d’éloges pour ce vainqueur des vainqueurs ; il le montrait allant chercher en Angleterre quatre mots de Locke et de Newton, puis préparant une histoire générale anti-chrétienne. Pour Rousseau, le contraste n’est pas moindre. Aujourd’hui c’est un révélateur, plus puissant, plus admiré, plus adoré que jamais. En 1835, M. Michelet rappelait que Rousseau fut tour à tour un vagabond et un laquais ; il le représentait maudissant la science en haine du philosophisme et de la caste des gens de lettres, maudissant l’inégalité en haine d’une noblesse dégénérée. « Cette fièvre de : dissolution niveleuse, ajoutait-il, coula par torrens dans les lettres de la Nouvelle Héloïse. » Aussi nous ne reprocherons pas ici à M. Michelet le ton du dithyrambe qu’il prend aujourd’hui pour célébrer le XVIIIe siècle et ses grands hommes, parce que dans ses élans il y a du repentir et comme une réparation du passé.

En passant de l’introduction à l’histoire même, nous la trouvons fort courte à analyser. Dans les trois cents pages consacrées par M. Michelet à l’année 1789, il n’y a véritablement que deux faits mis en lumière, la prise de la Bastille et les journées d’octobre. Ces deux coups d’état populaires ont vivement ébranlé l’imagination de M. Michelet ; il les

  1. Précis de l’Histoire moderne.