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ses divagations, le lieu commun et le paradoxe relevés plus d’une fois par les saillies d’un talent inégal, tout cela avait fait un bruit qui avait charmé les oreilles et l’amour-propre de M. Michelet. Il sembla doux à un savant qui jusque-là avait vécu un peu obscur, même au milieu des justes témoignages de considération que lui attiraient ses honorables labeurs, d’entendre tous les échos de la publicité lui renvoyer son nom dans sa solitude, et peu à peu ce plaisir nouveau lui devint nécessaire. Mais comment occuper sans cesse la renommée ? Quand on a exploité les jésuites, tonné contre le prêtre et adulé le peuple, il n’est pas facile de trouver matière nouvelle à pamphlet. Alors M. Michelet imagina de combler ce vide par l’immense sujet de la révolution française, et de s’assurer, par la publication d’un volume tous les six mois, deux ou trois ans d’une bruyante popularité. À l’œuvre donc ! Quel plus beau thème pour se donner carrière, pour parler de tout, de soi d’abord, de sa vie, de sa famille, de ses promenades au Champ-de-Mars, à Versailles, et pour reparler du prêtre, du peuple, des jésuites et des philosophes ! Malheureusement ici M. Michelet s’est heurté contre un sujet qui se prête peu aux caprices de la fantaisie, et dont la sévère grandeur a des conditions inflexibles. Quelle méprise que de transformer l’histoire tantôt en élégie, tantôt en pamphlet ! Quand l’an dernier, en parlant ici des débuts de M. Michelet comme pamphlétaire, nous l’engagions à reprendre ses premiers travaux, c’était dans l’espérance que ce retour au culte de l’histoire l’affranchirait des récentes et fâcheuses habitudes qu’avait contractées son esprit. Mais non, ces habitudes ont fait dans la raison de l’auteur un ravage plus profond ; elles sont restées les plus fortes, et c’est sous leur joug qu’il a écrit ces pages incohérentes, si étrangement baptisées du nom d’histoire, pages que le désordre des idées rend presque douloureuses à lire, même au milieu des lueurs de talent qui brillent d’intervalle en intervalle, mais qui sont impuissantes à débrouiller ce chaos. Aussi l’impression générale a été pénible. M. Michelet ne s’est-il pas aperçu du silence gardé autour de lui par ses meilleurs amis ?

Cependant, qui mieux que lui, s’il fût resté fidèle aux grands principes de la science et de l’impartialité historique, se trouvait préparé pour entreprendre cette introduction à l’histoire de la révolution française dont nous signalions tout à l’heure les difficultés ? Malheureusement M. Michelet semble dédaigner aujourd’hui les recherches historiques. Il dogmatise, il se propose surtout d’établir l’incompatibilité du christianisme et de la révolution française, défigurant ainsi quelques idées qui sont raisonnables et justes, pourvu qu’on les analyse et qu’on les définisse avec précision et netteté. Il est très vrai, et nous avons souvent insisté sur ce point, que l’origine de la révolution française est surtout philosophique ; mais faut-il en conclure, comme le fait aujourd’hui