Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1093

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Viennent ensuite des extraits abondans des écrits du philosophe napolitain. L’ouvrage se termine par une exposition générale et par une sage appréciation de la philosophie de Bruno. Voilà de grandes richesses. Profitons-en pour mettre en lumière les traits les plus saillans du caractère de Bruno et les lignes principales de sa philosophie.


III.

Giordano Bruno naquit à Nola, près de Naples, en 1550, dix ans après la mort de Kopernic, dont il devait recueillir et cultiver l’héritage, dix ans avant la naissance de Bacon, à qui il devait léguer le sien. La destinée, qui plaça son berceau au pied du Vésuve et le fit grandir sous un ciel de feu, lui avait donné une ame ardente, impétueuse, une inquiète et mobile imagination. Il arrive aux caractères de cette trempe de se croire destinés aux austérités du cloître, aux recueillemens de la solitude : Bruno prit l’habit de dominicain. Vingt ans après, un autre enfant de l’Italie, Campanella, dupe d’une pareille illusion, emprisonnait aussi sous le froc les ardeurs et les bouillonnemens de son génie. L’historien de l’ordre de Saint-Dominique, Échart, a nié que Bruno ait jamais été un des siens. La seule raison qu’en donne ce savant homme, c’est que, si Bruno eût été une fois dominicain, il n’eût jamais cessé de l’être et fût resté bon catholique. Adorable naïveté, qui croit l’éducation plus forte que l’esprit du siècle ! Qu’eût dit l’honnête Échart, s’il eût vu Voltaire sortir, après Descartes, des mains des jésuites ? En tout temps, même ironie de la destinée : du XIVe au XVIe, la même terre, le même ordre, ont porté saint Thomas et Giordano Bruno. Que va devenir au cloître notre jeune Napolitain ? Beau, spirituel, éloquent, nourri de poésie, avide de gloire, affamé de bruit, les triomphes et les orages du siècle l’appellent. La règle du couvent, et plus encore la règle de la foi, sont un insupportable joug à son indocilité. À peine a-t-il revêtu l’habit monastique, il n’est déjà plus chrétien. Ses questions hardies, ses doutes illimités sur la virginité de Marie, sur le mystère de la trans-substantiation, inquiètent et irritent ses supérieurs. D’un seul bond, cet esprit extrême s’est élancé de la foi d’un moine catholique aux dernières limites du scepticisme. Je crois voir Spinoza, élevé sous l’aile des rabbins, leur échapper tout à coup, et passer sans transition du culte de la synagogue à la religion sans autel des libres penseurs. Ce n’est point en effet à telle ou telle pratique, à, telle ou telle institution que s’attaque le doute du moine dominicain. Il va droit au dogme essentiel, l’eucharistie, et le nie radicalement. Luther s’était borné à transformer le mystère eucharistique, croyant de bonne foi le ramener à sa pureté primitive. Bruno attaque la forme et le fond, car il nie la divinité de Jésus-Christ, base de l’eucharistie, et de tout vrai