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il n’est plus Dieu. Dira-t-on qu’il ne l’a pas voulu ? Mais Dieu est bon, et il ne peut vouloir que ce qui est digne de lui. Comment comprendre que, pouvant faire un monde plus grand, c’est-à-dire répandre la perfection et la vie en proportion de son infinie fécondité, il ne l’ait pas voulu ? C’est donc un Dieu avare, un Dieu paresseux, un Dieu plein de caprice, un Dieu égoïste, un Dieu impuissant. « Pourquoi, s’écrie Bruno, pourquoi dirions-nous que la divine efficace est oisive ? Pourquoi penserions-nous que la divine bonté, qui se peut répandre à l’infini, a voulu être parcimonieuse et se resserrer dans le néant ? car toute chose finie est un néant, au regard de l’infini. Pourquoi ferions-nous la Divinité envieuse et stérile, elle essentiellement féconde, généreuse, paternelle ? Pourquoi supposerions-nous frustrée l’aspiration sans bornes, tronquée la possibilité de mondes infinis, altérée l’excellence de l’image divine qui doit mieux resplendir dans un miroir infini, selon le mode de son être, infini, immense[1] ! »

Ainsi, le monde fini d’Aristote s’anéantit devant la grandeur de Dieu. L’homme n’est point le centre de l’univers : il faut en revenir avec Kopernic et Nicolas de Cuss à l’antique système de Pythagore et faire tourner la terre autour du soleil ; mais ce soleil n’est qu’un atome parmi ces myriades de soleils qui resplendissent dans l’espace, et l’on ne trouvera pas plus de limite à l’univers en allant de monde en monde, de soleil en soleil, qu’on n’en trouvera au temps en remontant de siècle en siècle, du présent au passé et du passé à l’avenir.

On oppose à la raison l’Écriture sainte et les sens ; mais l’Écriture n’est point une autorité en physique : elle a pour objet le salut et non la science[2]. Les sens se révoltent contre un monde infini ; c’est que les sens ne comprennent que ce qu’ils peuvent embrasser. D’ailleurs, est-ce aux sens que doit se fier un philosophe ? Les sens eux-mêmes ont-ils vu, touché les bornes du monde ? L’expérience a beau explorer l’univers, elle n’est jamais accomplie. Elle se fatiguera plus vite d’observer que la nature de produire. Essayez de concevoir la limite des sens, vous êtes obligé d’imaginer l’espace. Or, cet espace est-il vide ? Cela répugne. Cet espace, d’ailleurs, est quelque chose ; vous n’avez donc pas atteint

  1. « Per che vogliamo, o possiamo pensare, che la divina efficacia sia oziosa ? Per che vogliamo dire, che la divina bontà, la quale si può comunicare a le cose infinite e si può infinitamente diffondere, voglia essere scarsa et astringersi in niente ? Atteso ch’ogni cosa finita al riguardo de l’infinito è niente. Per che volete, quel centro de la divinità, che può infinitamente in una spera, se cosi si potesse dire, infinita amplificarsi, come invidioso, rimaner più tosto sterile che farsi comunicabile, padre, fecondo, ornato e bello ?… Per che deve esser frustrata la capacita infinita, defraudata la possibilità d’infiniti mondi, che possono essere, pregiudicata l’eccelenza de la divina imagine, che dovrebbe più risplendere in un specchio incontratto, e secundo il suo modo d’essere, infinito, immenso ? (De l’Infin., universo e mondi, p. 24.)
  2. La Cena delle ceneri, p. 177-186.