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elles sont les membres d’un même corps, les organes d’un seul animal[1].

L’âme humaine est une de ces monades. Elle n’est pas l’harmonie des unités qui composent le corps ; c’est elle qui constitue et maintient l’harmonie corporelle. Être simple, elle est destinée à parcourir des transformations infinies. La vie n’est qu’un développement, la mort qu’un enveloppement : « La naissance, dit Bruno, est l’épanouissement du centre ; la vie est la sphère qui se maintient, la mort est la contraction qui ramène la sphère au centre. Nativitas expansio centri, vita consistentia sphœrœ, mors contractio in centrum[2].

Quelle sera la destinée de l’âme ? Que deviendra-t-elle en quittant sa terrestre demeure ? Ira-t-elle former et vivifier d’autres corps ? Voyagera-t-elle de planète en planète à travers l’immensité de l’univers ? Se replongera-t-elle dans cet océan de lumière et de perfection qui constitue l’intelligence divine et qui est sa vraie patrie, il natio seggiorno ? . Quoi qu’il en soit, l’âme connaît et veut l’infini ; elle cherche partout les moyens de s’identifier avec lui ; elle est donc faite pour vivre toujours, aussi bien que le soleil est fait pour éclairer toujours notre monde. — Ainsi que tout ce qui respire loue et bénisse l’être très haut et très simple, l’être infini et absolu, cause, principe et unité[3] !

En jugeant la doctrine de Bruno d’après cette esquisse rapide, mais fidèle, tout homme de bonne foi, si peu qu’il soit versé dans l’histoire de la pensée humaine, reconnaîtra aisément deux choses : la première, c’est que Bruno ne mérite pas ces accusations d’athéisme et d’impiété dont on a chargé sa mémoire ; la seconde, c’est qu’il ne mérite pas davantage ces élans d’enthousiasme que lui a adressés l’Allemagne contemporaine. En face de ces deux formidables problèmes, le problème de la nature de Dieu, le problème des rapports de Dieu, avec le monde, la pensée de Bruno a pu s’égarer, s’obscurcir, se contredire ; mais ses erreurs mêmes ont un caractère de noblesse, et on sent circuler dans ce système, à travers les tâtonnemens d’une pensée mal sûre d’elle-même et au milieu des dernières témérités, un sentiment profond de l’infini. Bruno ne se borne pas à affirmer Dieu de bonne foi ; il y croit, il y tend sans cesse, entraîné par le torrent de l’harmonie universelle, où son âme ardente aime à se plonger, et l’on peut dire de ce poète du panthéisme plus justement que Novalis ne faisait du géomètre Spinoza, qu’il a été ivre de Dieu.

  1. « Quidquid est, animal est. » — Cf. De la Causa, passim.
  2. De Triplici minimo et mensura, p. 13.
  3. « Lodati sieno li Dei, e magnificata da tutti viventi la infinita, semplicissima, unissima, altissima ed assolutissima causa, principio ed une ! » (De la causa, principrio, etc., ad finem.