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enfantement de l’oracle, ou bien encore pour accroître l’admiration par la feinte négligence qu’il apportait à la solution de ces questions si ardues. Le fruit caché sous ces rudes écorces n’en avait pas moins son prix. La loi de M. Tresayle valait mieux que la loi de tout autre, et le bruit courait que lord Eldon lui-même lui accordait une respectueuse déférence, fort soucieux quand il se trouvait en désaccord avec le célèbre consultant. »


Parmi ces physionomies esquissées au courant du récit, on remarquera celle de Crafty, le tacticien électoral appelé à combattre les menées de Gammon, lorsqu’il veut faire entrer Titmouse au parlement. Cette dernière n’est pas un portrait en l’air. Après nous avoir dépeint Crafty, le romancier le met à l’œuvre, et, dans cette lutte électorale à laquelle il nous fait assister jour par jour, heure par heure, l’intrépide agent déploie un aplomb, une dextérité, un sang-froid, qui rendraient sa défaite inexplicable, si la corruption, la hideuse corruption, interdite à Crafty par le grand seigneur qui l’emploie, n’était aux mains de Gammon la principale raison du triomphe de Titmouse. Que de révélations curieuses dans ce tableau de mœurs politiques ! Rapproché des procès retentissans qui affligent depuis quelques mois nos regards et nos consciences, combien de réflexions ne suggère-t-il pas ! Nous nous étonnons, nous nous indignons de ces marchés, où le vote de quelques malheureux paysans est surenchéri par d’audacieux spéculateurs. Que dirions-nous si l’on venait nous signaler dans une de nos villes de province l’existence d’un club comme celui dont parle Warren, institué, organisé pour la vente en bloc de tous les suffrages que ses membres peuvent porter dans l’urne ? Le Quaint Club de Grilston et ses cent neuf votans, marchandés tour à tour par Gammon et par Crafty, — traitant avec les deux par l’entremise de Ben Bran, le boulanger ; — vendu au premier moyennant 10 livres (250 francs par tête d’électeur), — prêt à rompre le marché dès qu’on enchérit sur le prix convenu, -réservant sa décision finale jusqu’au dernier moment pour tirer meilleur parti de cette marchandise de plus en plus précieuse, — n’est-ce pas là, pour le lecteur français, une révélation, une surprise, même après ce qu’il a vu ou pu savoir ? N’assiste-t-il pas avec une sorte de stupeur à ces conférences mystérieuses où, par un seul mot, quelquefois par un geste, se prennent des engagemens réprouvés et punis par la loi ? Ne se demandera-t-il pas, effrayé, si la longue pratique du gouvernement constitutionnel a pour dernier résultat cette vénalité savante, insaisissable, qui a ses règles, son argot, sa police, que la justice du pays ne peut frapper, et que l’opinion blasée a cessé de flétrir ?

Ce vaste édifice de la juridiction anglaise, où s’amoncellent juxtaposées tant d’institutions de dates diverses, Warren, nous l’avons dit, y a passé une notable portion de sa vie ; aussi nous le fait-il parcourir en guide expérimenté.