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Venise et de Trieste une concurrence redoutable. Déjà le nombre de ses bâtimens de commerce employés au transport des blés de la Russie est plus considérable que celui des navires autrichiens. En 1846, 864 navires sardes ont passé les Dardanelles ; l’Autriche en a compté 797 seulement. L’établissement maritime de la Rivière de Gènes s’augmente de jour en jour. Dans la seule année 1844, 108 bâtimens de toute grandeur représentant un total de 4,275 tonneaux ont été lancés à la mer par les ports de Gènes, Nice, Savone, Chiavari, Spezzia, Oneglia. En deux ans, ce nombre s’est accru de 31, et les relevés de 1846 constatent 149 bâtimens, soit un effectif de 6,295 tonneaux.

On comprend le puissant intérêt qu’a eu le gouvernement du roi Charles-Albert à ouvrir un débouché nouveau et plus vaste au commerce de Gènes et la nécessité où il se trouve de tourner aujourd’hui tous ses efforts vers l’exécution de ses chemins de fer. Aussi s’est-il mis sérieusement à l’œuvre depuis l’année dernière. Le système des voies de fer sardes se composera de trois lignes principales, qui, d’Alexandrie, point central, se dirigeront, la première sur Gènes, à travers l’Apennin ; la deuxième sur Turin par Asti, et la troisième par Valence et Novarre sur le lac Majeur. Les travaux sont commencés sur presque tous les points de la première ligne. Tous les ouvrages d’art sont adjugés à l’exception des abords de Gènes, sur lesquels les ingénieurs n’ont pu encore tomber d’accord. La galerie dei Gioghi, qui doit percer l’Apennin sur une longueur de près de 3,000 mètres, et qui coûtera, dit-on, 8 millions, est poussée avec une grande vigueur. On espère la voir terminée en 1850. L’hiver dernier, vingt ou vingt-cinq mille ouvriers ont été employés sur toute la ligne pendant quatre ou cinq mois. C’était faire une œuvre à la fois philanthropique et utile.

Sur la troisième ligne, celle d’Alexandrie au lac Majeur, les chantiers sont ouverts aux environs de Novarre, et l’on a mis la main au pont de Valence, magnifique viaduc sur le Pô, qui coûtera à lui seul 4 millions.

Enfin des études ont été faites pour la ligne qui de Turin doit se diriger sur la France par la Savoie. L’emplacement du tunnel du mont Cenis est déterminé. Du côté de l’Italie, le souterrain s’ouvrira au-dessus d’Exilles, à quelques lieues de Suze, en remontant la vallée de la Doire, et viendra aboutir sur la pente opposée au village de Modane, dans la vallée de l’Arc, près de Saint-Jean de Maurienne. Un tunnel de 10,000 mètres sous le mont Cenis ! L’annonce de ce projet gigantesque a été accueillie en Europe par des sourires d’incrédulité. Rien de plus sérieux pourtant. Si, comme on l’assure, une galerie souterraine, dont on montre encore l’entrée dans les États Romains, a autrefois existé d’un revers à l’autre de l’Apennin pour le passage d’un aqueduc, pourquoi ne serait-on pas en droit d’attendre un travail semblable de la science moderne ? M. Maus, ingénieur en chef du gouvernement sarde, a inventé une machine destinée à perforer la montagne. Les expériences faites à plusieurs reprises à Turin, et dernièrement encore en présence de M. Cobden, juge compétent en pareille matière, ont complètement réussi. Les calculs les plus modérés permettent d’espérer que le tunnel, attaqué des deux côtés à la fois, pourrait aisément être terminé en quatre ou cinq années. À une telle profondeur, les eaux ne seront probablement plus à craindre, et la construction de cet ouvrage pourra, entre autres avantages, fournir à la géologie plus d’une observation curieuse et, la solution, de plus d’un problème.