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contre l’introduction des indiennes, et demandèrent même l’interdiction de toute fabrication indigène. Le gouvernement, alarmé de ces réclamations qui s’élevaient de toutes parts, défendit bientôt l’entrée des cotonnades étrangères, blanches ou imprimées. Cette mesure, qui en apparence ne donnait satisfaction qu’à la partie à peu près sage des demandes formulées par les chambres de commerce, combla en même temps les vœux de ceux qui voulaient interdire absolument l’usage des étoffes peintes. En effet, notre fabrication de cotonnades blanches suffisant à peine à la consommation, il lui était radicalement impossible de produire celles qu’on eût voulu livrer à l’impression. On conçoit aisément qu’un pareil état de choses ne pouvait durer ; aussi la prohibition ne tarda-t-elle pas à être levée et remplacée par la mesure beaucoup plus sage d’un droit ad valorem. Aux plaintes nouvelles que ne manqua pas de soulever ce retour à des idées économiques plus saines, le gouvernement répondit en recherchant les moyens de nous préparer à soutenir avantageusement la concurrence. Dans ce dessein, il encouragea notre fabrication avec une constante sollicitude, s’attachant à répandre tous les documens qu’il put recueillir sur les procédés des Anglais, que nous devions dépasser plus tard, mais qui nous étaient alors de beaucoup supérieurs. Enfin il établit à Paris, dans les cours de l’Arsenal, une sorte de manufacture modèle, qu’un Anglais nommé Cabane fut appelé à diriger ; mais l’habileté de cet étranger était au moins contestable, et les vues progressives qu’on avait conçues attendaient un autre auxiliaire. Néanmoins c’est de la levée de cette singulière prohibition (1770) que date en France l’origine des manufactures de toiles peintes. C’est à la suite de ce grand événement commercial et industriel qu’un jeune Suisse, laborieux et instruit, sortit des ateliers de Cabane on il était imprimeur, et, à la tête d’un capital plus que modique, entreprit de fonder pour son compte un établissement près de Versailles. Cet homme, à qui le génie donnait ainsi une pieuse témérité, portait un nom que plus tard il devait illustrer ; Louis XVI devait lui octroyer des lettres de noblesse, et Napoléon lui offrir une place dans le sénat : c’était Christophe-Philippe Oberkampf, qui allait jeter les bases de la fabrique de Jouy.

Associé au mécanicien Samuel Widmer, son neveu et son beau-frère, et guidé dans son industrie par les conseils des plus habiles chimistes de Paris, Oberkampf réalisa de nombreux perfectionnemens qui assurèrent à son établissement une réputation européenne. L’élan était donné, des privilèges furent sollicités, et de nombreuses manufactures s’élevèrent sur divers points de la France ; mais à l’instar de celle que nous venons de citer, dans le principe, la plupart étaient dirigées par des étrangers, et beaucoup de leurs ouvriers n’étaient pas d’origine française. La concurrence, résultant naturellement de ce mouvement industriel, provoqua, dans cette période, de notables améliorations. Au bout de quelques années, les fabricans se coalisèrent avec une compagnie des Indes établie à Paris en 1785, pour demander la prohibition des tissus de Mulhouse. D’un autre côté, la Lorraine et l’Alsace, qu’aurait indirectement frappées une pareille mesure, réclamèrent vivement. On était alors en 1789, et ces plaintes diverses allèrent se perdre dans les premiers orages de la révolution.

En France donc, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, une opposition acharnée se déclare contre l’usage des toiles peintes, quelle qu’en soit la provenance ; une funeste prohibition est la conséquence désastreuse de cette opposition ; enfin, un édit de rappel commence une ère nouvelle et florissante pour l’impression des