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extrêmement rares en Europe, à l’époque de la découverte de l’Amérique, après avoir été en assez grande abondance autour de la capitale de l’empire romain. La plupart des denrées s’échangeaient alors contre une quantité de métaux précieux bien inférieure à ce qui en était l’équivalent à Rome ou en Grèce. C’est ce qui résulte incontestablement des recherches des savans modernes, particulièrement de MM. Letronne, Boekh, Dureau de la Malle, quoique ces auteurs distingués ne soient pas d’accord sur les termes. Une modique quantité d’argent commandait beaucoup de travail ; la moindre parcelle d’or était une richesse.

Cette rareté extrême des métaux précieux explique la surprise et la joie qu’éprouvèrent les Espagnols lorsque, débarquant à Haïti et sur d’autres rivages du Nouveau-Monde, parmi des tribus sauvages, ils trouvèrent l’or employé en ornemens personnels ou en petits ustensiles, comme des hameçons. Un pays où l’on allait à la pêche avec des hameçons d’or ! Quelle impression ne dut pas produire ce récit en Europe Haïti, cependant, n’avait que très peu d’or. Les naturels, séduits par l’éclat de ce métal, le portaient en petites plaques pendues au nez, par exemple, ou s’en ornaient le front et les bras ; et, s’ils en faisaient des hameçons, c’est qu’ils manquaient d’autres métaux qui eussent mieux valu pour cet usage. Ce fut de l’enthousiasme lorsque les conquistadores virent étalés devant eux les présens réellement magnifiques de Montezuma, ou qu’ils pénétrèrent dans les palais et les temples du Pérou, qui resplendissaient d’or ; mais ce fut l’exaltation du délire lorsque le Potosi répandit sa pluie d’argent. Cette fois, comme nous l’avons dit, on avait découvert des richesses infinies[1]. C’est, seulement à partir de ce moment que le prix des choses éprouve, en Europe, de grands changemens. Les dépouilles de Montezuma et celles des Incas, qu’on a tant vantées, étaient insuffisantes pour y produire rien qui ressemblât à une révolution dans la valeur comparée des denrées et des métaux précieux. Tout l’or que les Pizarre et Almagro arrachèrent aux temples du soleil ne faisait qu’une somme de 20 millions de francs, moins de 6,000 kilogrammes. En supposant que ce fût tout en or[2], c’était une masse du tiers seulement d’un mètre cube. Tout le butin fait à Tenochtitlan (Mexico), après le siége mémorable qu’y soutinrent les vaillans Aztèques contre Cortez, ne ferait, d’après l’estimation de Bernal Diaz, presque double de celle de Cortez lui-même, que 1,125 kilogrammes[3]. En volume, ce ne serait que les deux tiers d’un hectolitre. Ferdinand-le-Catholique, qui cependant survécut dix années à Colomb, et qui

  1. Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1846, page 1016.
  2. En réalité, il y avait une certaine quantité d’argent, environ un septième de la valeur.
  3. Voir la discussion de M. de Humboldt sur ce sujet, Nouvelle-Espagne, tome III, page 421.