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REVUE. — CHRONIQUE.

100 des antiques capitulations sur le lieu de débarquement ou d’embarquement des marchandises ; on tenait pour admis que ces marchandises devaient supporter ou qu’elles avaient supporté des droits intérieurs équivalens à 2 pour 100 et à 9 pour 100. Ces droits étaient en réalité ou beaucoup moindres, ou souvent éludés. Dans certaines contrées, en Syrie, par exemple, le peuple ne voulait point souffrir qu’on perçût quoi que ce fût sur les denrées ou les produits à l’entrée des villes. Ces denrées parvenaient donc franches jusqu’au port ; là, le Russe achetait moyennant 3 pour 100, tandis que le Français ou l’Anglais était astreint à payer 12 d’un coup. Le Russe se refusait à dénoncer son vendeur, qui échappait ainsi aux anciens droits, et le Français ou l’Anglais qui s’était astreint au nouveau pour faciliter ses marchés en prenant à son compte et en bloc les droits que ce même vendeur devait acquitter en détail, et qu’il n’acquittait pas, le Français ou l’Anglais ne pouvait plus acheter au même prix que le Russe. C’était une concurrence désastreuse.

Les négocians anglais déclarèrent bientôt que la lutte était impossible, et une correspondance des plus suivies s’établit entre l’ambassade britannique à Constantinople et le Foreign-Office. Une circulaire remarquable posa sept questions à tous les agens consulaires qui résidaient dans l’empire ottoman : ces questions avec les réponses donnent l’idée la plus exacte de la situation prise par la Russie aux dépens du commerce anglais à la suite du traité d’août 1838. On se demandait un peu tard si les négocians russes, leurs acheteurs ou leurs vendeurs, ne se trouvaient pas en somme plus favorisés que les sujets britanniques depuis que ceux-ci étaient soumis au tarif nouveau, si ce tarif lui-même n’était pas une compensation bien exagérée pour les anciennes taxes dont il dispensait. La question capitale qui résumait toutes les autres montrait assez le découragement de quiconque commerçait sous pavillon anglais. « Les désavantages supportés par les négocians anglais sont-ils tels qu’il soit plus utile à l’Angleterre que le gouvernement de sa majesté britannique, réclamant le bénéfice du premier article de la convention, insiste pour que les négocians anglais soient placés sur le pied le plus favorisé, c’est-à-dire sur le même pied que les Russes, quoiqu’une telle mesure puisse leur enlever tous les avantages dont ils sont maintenant supposés jouir, grace à la substitution des droits fixes aux droits variables et arbitraires, grace à l’abolition des monopoles et des anciennes causes de vexations et d’avanies ? »

Quelle que fût l’énergie des doléances qui provoquaient dans les esprits un pareil retour, les marchands anglais qui se plaignaient si vivement avaient cependant moins encore à souffrir que les nôtres, vu la différence de nature, de théâtre et d’intérêt qui distingue le négoce des deux peuples dans le Levant. La Turquie se compose de trois parties qui forment pour ainsi dire trois systèmes commerciaux, la Turquie d’Europe, l’Asie-Mineure avec les îles de l’archipel et le vaste plateau qui va de la mer Noire au mont Amanus, enfin la Syrie avec Chypre et l’Égypte. Le commerce français est de beaucoup inférieur dans la première partie, l’Autriche et l’Angleterre se chargeant presque exclusivement d’approvisionner l’Albanie, la Macédoine, la Bulgarie, etc. ; il fallait même que l’Angleterre tendit à l’accaparement de ce marché pour que l’Autriche ait si nettement refusé de souscrire, quant à ces dernières provinces, aux conventions anglo-françaises. Le commerce français, représenté à Constantinople par des maisons considérables