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la jeunesse. Aujourd’hui l’église seule sait ce qu’elle veut dans cette grande affaire, parce que son point de départ et son but sont clairement déterminés ; mais ni l’état, ni les familles n’ont cette décision de vues et de sentimens. L’état n’a pas assez de foi en lui-même et dans ses propres doctrines pour refuser ce qu’on lui demande, c’est-à-dire de nombreuses dérogation : au principe de l’unité ; il ne défend qu’avec mollesse cette forte maxime, que l’unité de la patrie appelle l’unité d’enseignement. A leur tour, les familles ne réclament la liberté que pour en faire l’usage le plus contradictoire ; la faculté qu’elles revendiquent d’élever leurs enfans à leur guise mettra dans tout son jour la divergence anarchique des opinions qui se partagent aujourd’hui la société. Il y a au fond, non-seulement de nos idées, mais de nos mœurs, un scepticisme dont l’action est continue. Sans consistance, nos mœurs ont quelque chose de transitoire, d’éphémère. Héritiers de deux révolutions, nous sommes sans enthousiasme et sans goût pour de nouvelles commotions politiques : c’est un bien ; malheureusement nous n’avons pas encore trouvé notre équilibre moral, et voilà notre faiblesse. Les traditions, les croyances, les idées, les opinions de la société française forment comme un vaste chaos que traversent en tous sens des rayons lumineux ; mais l’ordre et l’harmonie n’y règnent pas encore. Ce sera l’œuvre de l’avenir.

Maintenant, en face de cette société ainsi faite, quelles seront les qualités les plus nécessaires au romancier qui aura l’ambition d’en tracer la peinture ? Avant tout, il lui faudra une rare souplesse d’esprit, une flexibilité vigoureuse qui lui permettent de prendre successivement tous les points de vue et tous les tons. Il n’aura pas moins besoin d’associer à l’observation un jugement supérieur, car ce ne sera pas assez.pour lui de voir : il devra juger, non pour rendre des arrêts pédantesques, mais pour ne pas nous montrer les choses sous de fausses couleurs. La verve comique lui est indispensable, mais il ne faudra pas qu’elle emporte jusqu’à la caricature celui qu’elle animera. Nos mœurs, à l’exception de quelques accidens, se composent presque toujours de nuances délicates et fugitives : comment les rendre, si on écrase le pinceau sur la toile ? Il est des choses sur lesquelles on sera d’autant plus vrai qu’on sera plus vif et plus preste. L’amplification et la lourdeur sont de mortels obstacles aux impressions profondes. Parfois les écrivains s’imaginent qu’ils duperont les lecteurs par les artifices de l’exagération ; il leur arrive plutôt de se duper eux-mêmes et de contracter des habitudes dont ils ne peuvent plus s’affranchir. Alors la grossièreté prend la place de l’énergie.

La mesure et la grace dans la force sont le partage de quelques époques privilégiées, parmi lesquelles malheureusement on ne saurait compter la nôtre. Tout concourt à pousser aujourd’hui les talens les