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maritime se prolongeait, que les populations de l’Amérique du Sud ne se levassent à la voix de l’Angleterre et n’échappassent sans retour au sceptre de l’Espagne. La cour de Madrid n’eut point la force de résister à ce concours inoui de circonstances et de sentimens divers : elle se laissa entraîner, et promit de se déclarer contre la France, aussitôt que cette puissance serait aux prises avec les cours du Nord.

Mais, pour venir se mesurer dans l’arène avec un adversaire aussi formidable que l’empereur Napoléon, il fallait une armée nombreuse, instruite, disciplinée, bien équipée et commandée par, des généraux habiles. Or, tout cela manquait à l’Espagne. Autant par l’effet de la plus déplorable incurie que pour ne point éveiller la défiance de son ombrageux allié, elle avait laissé détendus tous les ressorts de l’administration militaire. Elle ne comptait pas cinquante mille soldats valides, et n’avait de bien armés, de bien équipés, de régulièrement soldés, que les corps d’élite qui formaient la garde royale. Les troupes de ligne étaient dans le plus triste dénûment : les soldats manquaient de chaussures et souvent d’habits ; la solde était arriérée de plusieurs mois ; nulle instruction, et, dans tous les corps, une discipline relâchée. Pour généraux, des hommes énergiques, tenaces comme l’est la race espagnole, mais, sauf de rares exceptions, ignorans et inexpérimentés. La cavalerie n’était pas dans un meilleur état que l’infanterie : la moitié des escadrons était à pied et l’autre avait des chevaux impropres au service de guerre. L’artillerie était à peu près désorganisée. Dans beaucoup de régimens, il n’y avait ni chevaux, ni affûts, ni canons en état de servir. Les places de guerre n’étaient suffisamment ni armées ni approvisionnées, et beaucoup d’entre elles tombaient en ruine. Les finances de l’Espagne étaient dans une situation plus triste encore que son administration militaire. Les deux sources principales de ses revenus, la douane et les produits des mines du Pérou et du Mexique, étaient taries, en sorte que le gouvernement, pour subvenir aux dépenses les plus pressées, était forcé de recourir à des expédieras ruineux. Il avait fini par ne plus payer ses employés : il en était résulté une langueur générale dans tous les services, et, chez la plupart des fonctionnaires, une effroyable vénalité.

Le prince de la Paix s’était donc engagé dans un dédale de difficultés inextricables. Il ne pouvait songer à rompre avec la France sans réorganiser la puissance militaire de l’Espagne, et il fallait qu’il armât sous les yeux de l’homme le plus vigilant, le plus rusé, le plus soupçonneux de l’Europe, sans avoir l’argent nécessaire pour pourvoir à ces grands armemens.

Une flotte anglaise, commandée par l’amiral lord Saint-Vincent, venait d’entrer dans le Tage : elle portait un diplomate anglais, lord Rosselyn. Le but de cette expédition était un mystère pour tout le monde.