Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec quelle puissance on va se battre, si c’est au nord, si c’est au midi ; si c’est contre la France ou contre le Portugal ; on ne sait qu’une chose, c’est que le gouvernement se prépare à la guerre, et la nation, heures de le voir sortir enfin de sa longue apathie, semble toute disposée à le seconder.

Au fond, cependant, tout ce mouvement belliqueux n’était qu’à la surface, et ce n’était point là le réveil d’un peuple fier et énergique. « La tristesse est portée à son comble, écrivait, le 2 octobre, M. de Vandeuil. On vient de recevoir la nouvelle que Buénos-Ayres est tombée dans les mains des Anglais… Il échappe au prince de la Paix des traits de jactance qui sont pitoyables. On parle de mobiliser une armée et l’on n’a rien de prêt ; on parle de conquêtes et on n’a pas même un plan raisonnable de défense. On éprouve d’inconcevables embarras dès qu’il faut pourvoir aux plus petites dépenses. Le prince de la Paix ne sait exactement ni ce qu’il peut, ni ce qu’il veut. Son agitation et ses idées ne sont pas d’un homme calme et encore moins d’un homme capable. »

Le 14 octobre parut une proclamation qui portait la date du 5 octobre et qui appelait aux armes la nation tout entière. Ce n’est point le roi, c’est le favori qui s’adresse aux Espagnols. Son langage est vague et obscur. Il sollicite des sacrifices : il demande des chevaux à l’Andalousie et à l’Estramadure, des hommes de l’argent, du dévouement à tout le royaume. Il annonce la guerre comme prochaine ; il montre l’ennemi menaçant, et cet ennemi, il ne le nomme point. Le jour même où cette proclamation énigmatique était publiée, la Prusse succombait à Iéna. Le lendemain 15, des circulaires laissèrent entrevoir les intentions du gouvernement : il invitait les intendans des provinces, les évêques, les capitaines-généraux, les corrégidors, à stimuler l’ardeur de la noblesse, car, disait-il, il y va de ses privilèges et de ceux de la couronne. A la lecture de la proclamation et des circulaires, la surprise et l’émotion furent générales. On en pesait avec soin tous les mots ; on s’efforçait de découvrir, sous le voile de l’expression, la pensée secrète du favori. Les émissaires de ce prince affectaient de dire bien haut et partout qu’elles avaient été publiées en haine de l’Angleterre, et que c’était contre le Portugal que l’Espagne allait porter ses armes ; mais l’opinion publique ne fut pas dupe de cette fausse interprétation : tout ce qui, à Madrid, était doué de quelque sagacité soupçonna la cour de s’être entendue avec la coalition et d’armer contre la France. M. de Vandeuil, fort jeune alors, était seul dans l’ignorance de ce qui se passait. Il s était laissé abuser par le langage artificieux du prince de la Paix, et, dans l’innocence de ses pensées, il croyait très sincèrement à un projet de guerre contre le Portugal. Ce n’est que lorsqu’il vit tout le monde, autour de lui, persuadé que le prince nous trahissait, qu’il commença