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était vainqueur ou vaincu. Il eut des doutes pourtant ; mais il attendit, pour les éclaircir, des informations plus précises. Bientôt elles lui vinrent de toutes parts, de Lisbonne, de Madrid, de toutes les villes maritimes de l’Espagne. A la nouvelle des derniers succès obtenus par nos armes en Allemagne, la panique s’empara de la cour de Lisbonne ; elle eut peur de se trouver compromise par les fautes du prince de la Paix, et son premier mouvement fut de repousser toute solidarité avec la politique du favori. Elle alla jusqu’à lui prêter une pensée infernale, celle d’expier un moment d’infidélité à l’égard de la France, en exécutant un projet qu’elle n’avait mis en avant que pour motiver ses armemens, c’est-à-dire en attaquant effectivement le Portugal avec toutes ses forces. M. d’Araujo s’en expliqua nettement avec M. de Rayneval. « C’était bien contre la France, lui dit-il, qu’était dirigée la proclamation du 5 octobre ; mais, intimidé par vos succès en Prusse, sans doute, le prince de la Paix cherchera à donner aux expressions vagues et obscures de sa proclamation une signification différente de celles qu’elles ont réellement : il indiquera le Portugal comme l’ennemi auquel il a fait allusion ; il armera contre nous. En présence d’un tel danger, nous ne pouvons rester sans défense ; nous allons armer en toute hâte nos places frontières. »

Les dépêches du ministre de Prusse à Madrid, qui tombèrent entre les mains de l’empereur après la bataille d’Iéna, achevèrent de lui dévoiler toute la vérité. Le moment n’était pas encore venu de manifester son ressentiment. Les Russes s’avançaient à grands pas : une longue et rude campagne allait s’ouvrir en Pologne. Il différa donc sa vengeance. Il continua de témoigner à l’Espagne une confiance entière ; il parut convaincu de la loyauté de sa conduite, touché des témoignages de haute admiration que lui prodiguait le favori, et, afin de lui prouver à quel point il prenait au sérieux les protestations de ce prince, il l’invita dans les formes les plus douces, mais en termes cependant qui n’admettaient point de refus, à concourir, par un redoublement d’efforts, au triomphe de la cause commune. Voici ce que, par son ordre, M. de Talleyrand écrivit de Berlin, le 27 novembre, et de Posen, le 15 décembre, à M. de Beauharnais, beau-frère de l’impératrice Joséphine, qui venait d’être envoyé à Madrid en qualité d’ambassadeur

Les levées militaires et tous les préparatifs dont l’Espagne s’occupe sont devenus sans objet. Elle n’est exposée à aucune guerre continentale : la France couvre ses frontières au nord, le Portugal ne la menace point. Il ne faut point appeler l’attention et l’inquiétude publiques sur des dangers qui n’existent pas et qui sont sans vraisemblance.

« C’est à l’état de sa marine que l’Espagne doit donner tous ses soins. L’ennemi ne tentera pas une invasion dans ses provinces maritimes ; mais il arrête ses communications avec ses colonies, il continue de menacer