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Les sommations de la France et de l’Espagne accablèrent de douleur le régent. Napoléon n’exigeait pas seulement qu’il rompît tous ses liens avec la Grande-Bretagne ; il le sommait d’arrêter et de dépouiller de leurs biens cette foule de négocians et de banquiers anglais qui tenaient dans leurs mains tout le commerce du pays. S’il hésitait à se charger de ce rôle odieux, les armées de la France et de l’Espagne allaient fondre sur le royaume. Dès-lors il lui faudrait chercher par-delà l’Océan une sécurité qu’il ne trouverait plus en Europe : horrible situation, digne de toute la pitié de l’histoire, et qu’il n’eût été donné à personne, pas même au plus ferme courage, à l’intelligence la plus souple, de pouvoir dominer.

Le premier mouvement du régent fut de rejeter les demandes de la France et de fuir au Brésil. M. d’Araujo annonça lui-même à M. de Rayneval la détermination du prince : « Vous nous faites, monsieur, lui dit-il le 14 août, des demandes terribles. Son altesse royale ne consentira jamais à faire arrêter les Anglais ni à confisquer leurs propriétés. Si nous avons des griefs contre eux, ils sont trop peu de chose pour justifier une déclaration de guerre, et commencer par une injustice manifeste nous attirerait des représailles funestes. Il faut, dans une aussi grave question, aller droit au fait et ne laisser en arrière aucune pensée. Notre monarchie se compose d’une portion européenne et d’une portion américaine. Il faut perdre une des deux. Le plus sage est de sacrifier la moins avantageuse, celle d’Europe. Après tout, les grandes commotions qui agitent le globe nous l’enlèveraient tôt ou tard. Les condescendances à l’aide desquelles nous tenterions de la sauver ne feraient que nous déshonorer. Notre perte est inévitable ; vouloir lutter serait une folie. La France a bravé et vaincu la Prusse et, la Russie. Quelle résistance pourrait opposer le Portugal, eût-il cinquante mille Anglais pour auxiliaires ? D’ailleurs, le Portugal succomba sous le poids de ses propres vices ; c’est un vieil édifice qu’il vaut mieux laisser tomber en ruines : on ne le sauverait qu’en le refaisant à neuf. Tout cela nous commande de nous ouvrir la route du Brésil. Là, du moins, nous marcherons sur un terrain neuf, et nous resterons maîtres de n’y point laisser entrer des germes de décadence. Nous échapperons à la dépendance de la France et de l’Angleterre, et les chaînes de l’une et de l’autre, de quelque nom qui on les honore, ne sont pourtant que des chaînes. »

Une telle déclaration semblait annoncer que les résolutions du régent étaient arrêtées et irrévocables. Il se ravisa cependant et voulut essayer, sans doute d’après les conseils du cabinet de Londres, si, par une feinte soumission, il ne parviendrait pas à apaiser ou à abuser l’empereur. En conséquence, il prit tous les dehors d’un prince qui