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royaume. De son côté, l’ambassadeur anglais, lord Strangfort, simula une grande colère, fit abattre des portes de son hôtel les armes d’Angleterre, demanda avec hauteur ses passeports, et se retira à bord de l’Hybernia ; mais, la nuit, une barque venait silencieusement le chercher et le ramenait à Lisbonne, où il conférait, pendant de longues heures, avec le régent et ses ministres : le matin, avant le jour, la même barque le reconduisait à bord de l’Hybernia.

Pour prix de sa soumission apparente, la cour de Lisbonne nous demanda d’arrêter la marche de nos troupes[1]. L’empereur était persuadé que le régent le trompait ; il fit expédier à Junot l’ordre de précipiter sa marche sur Lisbonne, soit pour la protéger contre les Anglais, dans le cas où le gouvernement portugais leur aurait sérieusement déclaré la guerre, comme il l’affirmait, soit pour occuper militairement cette capitale et en chasser le régent, si, comme tout le faisait croire, il était d’intelligence avec le cabinet de Londres. Il voulait que son armée arrivât comme la foudre, de manière à ne laisser ni au régent, ni aux Anglais, ni aux habitans le temps d’organiser la résistance. Il défendait à Junot de s’arrêter, même pour rassembler des vivres, « vingt mille hommes pouvant, disait-il, vivre partout même dans un désert. »

Le pays situé entre le Tage et le Duero est l’un des plus montagneux et des plus sauvages de la Péninsule. L’Estrella, avec ses pics neigeux et ses nombreux rameaux, se dresse au centre de la Beira, comme pour servir de boulevard aux armées envahissantes de l’Espagne et couvrir Lisbonne. Junot n’avait le choix qu’entre deux routes, l’une, au nord, qui tournait la crête de l’Estrella et passait par Almeyda, Célorico et Thomar ; l’autre, au midi, qui courait sur les flancs escarpés de la montagne, par Alcantara et Abrantès. La première traversait un pays riche, peuplé, où les troupes auraient vécu dans l’abondance ; mais elle était beaucoup plus longue que l’autre. En outre, elle était couverte par la place d’Almeyda, qui nous eût arrêtés quelques jours, et cette perte de temps pouvait nous devenir fatale. La route d’Abrantès avait l’avantage d’être plus directe et de conduire l’armée à Alcantara, où l’attendait la division espagnole du général Caraffa.

Ces considérations maîtrisèrent Junot, et il prit la route d’Abrantès. Les obstacles naturels y étaient semés à chaque pas : ici, des montagnes nues, arides, presque inaccessibles à la cavalerie ; là, des ravins profonds ; presque partout, la stérilité et le désert. Les élémens déchaînés achevèrent de rendre cette route aussi difficile que périlleuse. La pluie tombait en abondance ; les ruisseaux étaient devenus d’impétueux torrens

  1. Note de M. d’Araujo, 22 octobre 1807.