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Tage. Le général Moor se rendait de Sicile dans la Baltique, avec un corps de dix mille hommes, pour secourir le roi de Suède, menacé par la Russie, la France et le Danemark : on lui expédia en toute hâte l’ordre de s’arrêter devant Lisbonne et de prêter main forte, le cas échéant, à sir Sidney Smith. Ils devaient, l’un et l’autre, protéger l’embarquement de la famille royale, si elle exécutait son dessein de se retirer au Brésil ; dans le cas contraire, ils traiteraient le Portugal en ennemi : ils s’empareraient de tous ses bâtimens, bombarderaient ses côtes, forceraient l’entrée du Tage et y saisiraient tous les vaisseaux de guerre qui ’s’y trouveraient, tous, y compris ceux de l’amiral Siniavin. Ce n’est pas tout : le commodore Beresford dut occuper militairement l’île de Madère, et des ordres furent expédiés au gouvernement de l’Inde pour qu’il mît la main sur tous les comptoirs que le Portugal possédait dans cette partie du monde. Ainsi, le prince régent était dans la plus affreuse des situations. De quelque côté qu’il tournât les yeux, le péril et le joug étaient partout. Il était dévoré d’anxiétés, quand une nouvelle terrible, l’arrivée des Français dans les murs d’Abrantès, et la lettre de Junot fixèrent ses irrésolutions.

Abrantès occupe sur les deux rives du Tage une position très forte. Elle est, de ce côté, le véritable boulevard de Lisbonne. Si les Portugais avaient eu la prévoyance de l’armer et le courage de la défendre, elle eût arrêté nos colonnes harassées et donné le temps au gouvernement de mettre la capitale à l’abri d’une surprise ; mais le pouvoir avait montré une incurie si profonde, et la marche des Français avait été si rapide, qu’on les croyait encore à Alcantara quand ils touchaient aux portes de la capitale. Le jour même où le prince régent recevait la lettre de Junot, un autre message lui arrivait, et celui-là lui était adressé par sir Sidney Smith ; c’était le Moniteur du 13 novembre, qui contenait ces lignes fameuses : Le prince régent de Portugal perd son trône. La chute de la maison de Bragance sera une nouvelle preuve que la perte de quiconque s’attache aux Anglais est inévitable.

Le prince venait de lire sa sentence. Il n’y avait plus à balancer ; il fallait fuir : mieux valait encore un trône au Brésil qu’une abdication forcée, peut-être la prison en France. L’ordre du départ fut donné. Il s’effectua le 27 novembre sous les yeux de la population éplorée. Lisbonne offrit pendant trois jours un spectacle lamentable. Le peuple était habitué à l’administration douce et apathique de ses princes. Leur indolence et leur bigotisme ne le choquaient point. Dévot lui-même et superstitieux, il y voyait un titre de plus à son amour et à ses respects. Au moment où ils sortirent du palais et se dirigèrent vers la rive qu’ils allaient quitter, la foule se pressa autour d’eux et les accompagna dans un morne silence. Tout, dans ces adieux, fut sombre et solennel. En tête du cortége royal marchait lentement la voiture de la vieille reine.