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livrée aux passions cupides ou féroces de la populace. Là, comme à Naples en 1806, des bandes de brigands s’organisèrent et conçurent l’horrible dessein de forcer les prisons et de mettre la ville au pillage. Dans ce danger imminent, Junot devenait un sauveur pour les hautes classes et la bourgeoisie. Du reste, l’étonnement fut général à la vue de ces minces bataillons. L’imagination exaltée des Portugais s’était créé des types de soldats français à la taille imposante, à la figure martiale. Quand, au lieu de ces hommes d’élite, ils ne virent que des conscrits imberbes, mal vêtus, amaigris par les privations et les fatigues, ils firent sur eux-mêmes un triste retour ; ils eurent honte de s’être livrés à des enfans sans avoir brûlé une amorce, et ce sentiment ne fut pas étranger à leur conduite ultérieure.

Tandis que Junot exécutait son brillant coup de main, les armées espagnoles opéraient, avec non moins de succès, dans les provinces du sud et du nord. Le général Solano pénétrait dans l’Alentejo et les Algarves, et portait son quartier-général à Sétubal, distant seulement de cinq lieues de la capitale. De son côté, le général Taranco occupait, sans rencontrer la moindre résistance, la province d’entre Minho et Duero. Il prit possession, le 15 décembre, de la ville d’Oporto.

Cependant le gros de l’armée française avait rejoint successivement le corps d’avant-garde ; et bientôt Junot se trouva assez fort pour commander en maître. Il résolut de consacrer à tous les yeux, par un acte éclatant et solennel, les droits de son souverain. Un jour, c’était un dimanche, il rassembla sur la place du Roscio toutes ses troupes en grande tenue. Le peuple, attiré par ce spectacle nouveau pour lui, se pressait en foule derrière les lignes de nos soldats. A midi, une salve d’artillerie part du château des Maures : tous les yeux se tournent de ce côté, et l’on voit le drapeau aux armes du Portugal, qui flottait sur la plus haute des tours, tomber et faire place au drapeau tricolore. Ce jour-là, les Portugais comprirent qu’ils avaient échangé le joug mercantile de la Grande-Bretagne contre le joug militaire de l’empire français. La consternation fut générale. Le soir, une extrême agitation se manifesta dans la population : des groupes nombreux se formèrent, et le cri meurent les Français ! ce cri sinistre qui, bientôt, retentira dans toute la Péninsule et armera tous les bras, se fit entendre pour la première fois. Tous les membres du gouvernement provisoire étaient réunis en ce moment chez le général Junot. Il se tourna vers eux et leur dit : Messieurs, malheur à vous si vous osez conspirer contre l’armée de l’empereur Napoléon ; vos têtes me répondront de la tranquillité du peuple ! Ces paroles remplirent de terreur tous les assistans. Le cardinal Mendoça, patriarche de Lisbonne, et, à son exemple, tous les chefs du clergé, ainsi que les personnages les plus éminens de la noblesse et de la magistrature, non-seulement reconnurent l’autorité du général français,