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dans certains cas, sous l’influence du traitement moral ou sous la main de l’éducation. L’idiot seul devait-il demeurer sans consolateur et sans guide au milieu du mouvement de la science qui amenait les sourds à l’entendement et les aveugles à la lumière ? Cette question flottait peut-être dans l’esprit d’Itard, quand une circonstance se présenta, qui lui fournit les moyens d’éclairer ses doutes. Un enfant de onze à douze ans avait été entrevu, depuis quelques années, dans les bois de la Caune. Entièrement nu, faisant sa nourriture des glands et des racines qu’il ramassait, cet enfant menait la vie d’un sauvage. Vers la fin de l’an VII, rencontré par des chasseurs, qui le saisirent au moment où il grimpait sur un arbre pour se soustraire à leur poursuite, il fut conduit dans un hameau du voisinage et confié à la garde d’une veuve. Au bout d’une semaine, le sauvage s’évada et gagna les montagnes, où il reprit sa vie errante. Un jour, il entra de son propre mouvement dans une maison habitée du canton de Saint-Sernin ; transféré alors d’hospice en hospice, il fut amené à Paris. Sa réputation l’avait devancé, et, dans les premiers temps, les visiteurs affluèrent. La littérature du XVIIIe siècle avait mis les sauvages à la mode. Les beaux esprits et les femmes comptaient sur un prodige ; au lieu de cela, que vit-on ? Un enfant malpropre, maussade, farouche, mordant et égratignant ceux qui le contrariaient. Pinel visita le prétendu sauvage : il établit entre l’état de ce malheureux et celui des idiots de Bicêtre des rapprochemens incontestables. L’intérêt des gens du monde se retira de jour en jour, et notre infortuné expia bientôt par un délaissement absolu le crime d’avoir trompé la curiosité publique. C’est dans un aussi triste état qu’Itard, médecin de l’institution des Sourds-Muets, rencontra cet enfant à l’établissement de la rue Saint-Jacques, où on l’avait confiné ; c’est alors qu’il entreprit de le rendre par l’éducation à la vie de la société.

La médecine commençait à entrer dans des voies philosophiques ; c’était à elle qu’il convenait de tracer un cadre d’études pour cet enfant singulier que la nature et le hasard des circonstances semblaient avoir mis en dehors de toutes les lois communes. Itard, homme de grand sens, comprit en effet qu’il ne pouvait appliquer à l’éducation de son élève les systèmes ordinaires de l’enseignement des écoles. Une méthode était à créer ; il la créa. On n’assiste pas sans un intérêt profond à la lutte que le courageux Itard engagea avec des résistances physiques et morales regardées avant lui comme insurmontables. Il faut moins chercher dans les Mémoires sur le sauvage de l’Aveyron, l’histoire d’une éducation exceptionnelle qu’un exposé fidèle des ressources et des moyens applicables à toute une classe d’êtres déshérités ; Itard jetait les fondemens d’une méthode pour l’éducation des idiots, au moment où il ne croyait travailler que sur une organisation rebelle et ingrate. Ce qu’il porta de patience et de génie dans cette tâche obscure