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qui est propre à M. Galiano, la parole perd son prestige, elle devient vide et froide, elle erre au hasard, sans exprimer rien de profond. C’est là ce qu’on voit un peu dans le Cours de droit constitutionnel. On dirait que l’auteur se repose de la fatigue de penser en se jouant dans l’explication de quelques doctrines anglaises ou françaises. Et puis, il y a un danger auquel n’échappent pas toujours ceux qui se trouvent jetés dans une époque orageuse : jeunes encore, ils embrassent avec feu une grande cause ; à mesure que les révolutions se déroulent, cependant, ils reconnaissent que la justice n’explique pas tous les succès ; ils voient passer impunis les attentats de la force, ils assistent à la défaite de leurs propres espérances, ils subissent l’influence souvent corruptrice du malheur, et insensiblement leur croyance est ébranlée, ils se réfugient dans le doute. C’est ainsi peut-être qu’un certain scepticisme s’est glissé dans l’esprit de M. Galiano. Il ne le cache pas lui-même. « J’ai éprouvé des déceptions, dit-il dans son Cours, ou j’ai cru en éprouver, et le doute a pénétré en moi plus peut-être qu’en tout autre. » Et, partant de là, il effleure toutes les questions plutôt qu’il ne les résout. J’ai entendu à l’Athénée M. Galiano faisant un cours non sur le droit constitutionnel, mais sur la littérature du XVIIIe siècle, et c’était la même facilité sans profondeur, le même éclat extérieur sans pensées neuves et fortes.

S’il est un homme qui diffère par le talent de M. Alcala Galiano, c’est M. Donoso Cortès. L’Espagne n’a pas d’écrivain politique plus vigoureux et plus original que celui-ci, et il y avait, ai-je ouï dire, un réel intérêt à entendre à l’Athénée le jeune professeur débattant, dans ses leçons, les plus difficiles problèmes sociaux, agitant toutes les idées politiques pour en faire jaillir la lumière. On trouve parfois dans M. Donoso Cortès une élévation de pensée, des images grandioses dignes de Bossuet, et c’est ce qui a fait dire en Espagne que cette éloquence trouverait son véritable aliment dans les matières religieuses ; mais le chaleureux orateur est de son temps, et, s’il croit à la Providence comme l’auteur du Discours sur l’Histoire universelle, il croit aussi à une autre souveraine de ce monde, à la raison humaine, à l’intelligence. Une de ses leçons, qui traite de la souveraineté, n’a pas d’autre but que de combattre les théories sur le despotisme et sur les pouvoirs d’origine populaire pour faire prédominer l’intelligence : c’est l’intelligence qui donne le droit suprême de commander, elle est la source du pouvoir. M. Donoso Cortès serait un doctrinaire espagnol, s’il n’y avait chez lui une imagination si riche et si véhémente qui le jette en dehors des limites fixes et rigoureuses d’une doctrine quelconque ; le publiciste cache un poète, — un poète qui se laisse tour à tour entraîner par un profond sentiment du passé et par son goût pour les choses modernes. Aussi ses leçons, ses ouvrages, reproduisent-ils quelquefois ces deux tendances avec une éloquence singulière. Sa parole