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de cette secrète faiblesse vous saisit malgré le talent de quelques orateurs ; vous vous trouvez subitement placé en face de ce mystère étrange d’une révolution qui ne peut pas arriver à s’organiser, qui dévore les hommes sans en rencontrer un seul capable de se mettre à sa tête et de l’affermir, qui est partout et ne peut se concentrer nulle part, d’une révolution que chacun se hâte de proclamer finie et qui ne l’est point, parce qu’il ne suffit pas pour cela d’une déclaration officielle ou de la promulgation d’un décret. Oui, en présence de ce spectacle d’incertitude mal dissimulée sous la fiction des formes parlementaires, j’ai compris combien devait être encore essentiellement vrai le mot d’un des acteurs de ce drame : « Nous vivons dans un tourbillon. »

L’Espagne, on l’a dit assez souvent, n’est point un pays comme un autre ; c’est un pays de singularités et d’anomalies. En se fiant aux formes extérieures, rien n’est plus simple que sa situation politique ; rien n’est plus compliqué et plus triste, si on descend dans les détails, si on observe les faits dans leur vérité nue. Au grand jour, vous voyez tout un appareil représentatif fonctionner régulièrement, des chambres qui discutent des lois sans nombre, entassent projets sur projets, font surtout des discours et émettent des vœux de liberté et de concorde, vous voyez dans tous les esprits le culte le plus fervent pour les principes du régime nouveau ; mais regardez la réalité de plus près : ce savant et fragile mécanisme constitutionnel ne vole-t-il pas en éclats au premier choc un peu violent des passions ? N’en reconnaît-on pas l’impuissance précisément dans le cas où il faudrait qu’il se relevât de toute la force d’une autorité légitime ? On peut distinguer alors que c’est simplement encore une grande fiction qui n’est respectée que lorsqu’elle ne gêne pas, qui ne s’appuie sur rien de solide et de permanent. Le malheur de l’Espagne, c’est que, malgré l’unité apparente qui se résume dans un gouvernement central, il n’y a point d’unité morale dans les esprits et dans la vie publique ; c’est que le sentiment de la légalité est trop peu vivant pour servir de base au pouvoir civil ; c’est que les intérêts ne sont point assez développés pour comprendre leur solidarité et être une garantie d’ordre et de paix, — d’une paix active qui ne ressemble pas à l’apathique sommeil qu’on remarque parfois au-delà des Pyrénées ; la véritable calamité, c’est qu’aucun système général de gouvernement, n’a le temps de prendre racine. Et cela ne s’explique-t-il pas par le mouvement des partis, qui, jusqu’ici, n’ont pu se succéder au pouvoir que par la force, par la violence, au moyen d’une de ces secousses qui rendent toute constitution illusoire, qui ont pour effet, non-seulement de renverser les dominateurs de la veille, mais encore de les jeter dans un exil quelquefois volontaire, souvent forcé ? Tout changement de ministère de progressistes à modérés, de modérés à progressistes, a été jusqu’ici une révolution, — une révolution qui, j’ose le die, descendait