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de Rome, de M. Flachéron, se recommande par un style sévère. Il y a de la grandeur, de l’élévation dans ce paysage ; on y sent la main et la pensée d’un homme qui a long-temps étudié la campagne romaine et qui la comprend bien. Quelques détails sont traités avec un peu de dureté, mais l’ensemble est satisfaisant. Le pont El-Cantara à Constantine, de M. Thuillier, manque absolument d’intérêt et de caractère. Ce n’est pas que ce paysage soit dépourvu de mérite. Les fonds sont rendus avec finesse, mais les premiers plans sont plâtreux ; et puis cette toile a le défaut commun à toutes les toiles de M. Thuillier, elle manque d’originalité ; qu’il s’agisse de la Provence ou de l’Auvergne, de l’Italie ou de l’Afrique, M. Thuillier imprime à tous ses tableaux une éternelle monotonie ; il voit partout, il met partout la même couleur. Cette uniformité, cette monotonie rend à peu près nul l’effet de ses meilleurs ouvrages. M. Thuillier a beaucoup vu, beaucoup étudié ; mais ses études et son talent demeureront stériles tant qu’il ne saura pas distinguer et reproduire la couleur individuelle de chaque pays. M. Achard a choisi dans le parc du Raincy une vue dont il a rendu toutes les parties avec un soin scrupuleux. Les arbres, l’eau et les terrains sont traités avec habileté. C’est une fidèle imitation de la nature. Ce n’est pas là, selon nous, toute la tâche du paysagiste, mais nous devons reconnaître que M. Achard a touché le but qu’il se proposait, et nous louons sa persévérance.

Une Vue de la terrasse de Richemond, de M. Watelet, ressemble à tous les paysages passés et, je le crains bien, à tous les paysages futurs du même auteur. Pour M. Watelet comme pour M. Thuillier, le monde entier est toujours et partout de la même couleur. Cependant, sauf ce point capital, je ne voudrais établir aucune comparaison entre M. Thuillier et M. Watelet. Les ouvrages de M. Thuillier sont trop souvent monotones, les ouvrages de M. Watelet sont constamment vulgaires ; la vue de Richemond est absolument inanimée. L’eau, les feuilles, les animaux, tout est immobile. En regardant ce paysage que la mort habite et remplit de son souffle glacé, on se sent frissonner, et pourtant M. Watelet a prodigué la verdure ; mais le vent traverserait la plaine sans déranger un brin d’herbe dans ce paysage dont le modèle n’existe heureusement nulle part.

Une petite toile de M. Corot attire tous les yeux et réunit tous les suffrages. C’est un effet du soir très finement saisi et très habilement rendu. Je dis très habilement, quoiqu’il faille se placer à une certaine distance pour jouir pleinement du paysage de M. Corot. L’eau, le ciel et les arbres sont alors en parfaite harmonie et charment les juges les plus sévères ; mais, si l’on s’approche, on aperçoit sans peine tout ce qu’il y a d’incomplet dans l’exécution. L’eau paraît crayeuse, les feuilles manquent d’air, le tronc des arbres céderait sous le doigt.