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va sans doute renouveler le caractère ; malgré la diversité des objets auxquels ces renseignemens se rapportent, on sent au fond dans leur ensemble une même préoccupation, un même émoi causé par l’approche de l’avenir. C’est une analogie trop frappante pour ne pas relier suffisamment toutes ces productions assez éloignées les unes des autres, soit par leur nature, soit par leur esprit.

Le plus connu de ces publicistes, dont nous voulons rapidement résumer quelques travaux, le seul, pour mieux dire, qui se soit acquis une notoriété, c’est M. Bülow-Cummerow. On a déjà entretenu les lecteurs de cette Revue de l’ouvrage qui a fondé la réputation de M. Bulow, et l’on a signalé avec beaucoup de justesse la place qu’il s’est faite parmi les écrivains politiques de la Prusse[1]. C’est une place assez indécise, parce que les préjugés ou les habitudes du gentilhomme de Poméranie, du Prussien de l’ancien régime, luttent encore chez lui contre les théories constitutionnelles qu’il est cependant enclin à professer ; il a plutôt la haine du mécanisme bureaucratique qu’une affection arrêtée pour les formes libérales ; il serait du centre droit, comme disent aujourd’hui les Allemands, qui abusent fort de notre phraséologie parlementaire avant même d’avoir usé de l’institution. Il y a donc bien quelque vague dans les idées générale de M. Bülow-Cummerow, et il s’en faut que toutes ses conceptions soient très favorables au progrès politique ; mais il est beaucoup plus avancé quant aux questions financières, et les deux brochures qu’il a publiées en 1845 et en 1846, l’une sur la dette publique et le budget, l’autre sur la banque, doivent le ranger au nombre des juges les plus éclairés en ces matières, des hommes les plus compétens que la Prusse puisse maintenant employer à les traiter. Ce sont là des intérêts dont à Berlin l’on a peut-être un peu tardivement découvert l’importance, et le poids dont ils pèsent aujourd’hui sur toute la situation montre assez combien il est urgent d’aviser enfin à les ordonner mieux. En Prusse, comme en France, la crise financière aura précédé la grande crise politique, et, sans chercher d’ailleurs entre les deux époques des ressemblances qu’il ne faudrait point forcer, il est toujours curieux d’examiner de plus près les causes qui ont déterminé l’insuffisance du crédit prussien en face des besoins de l’état. M. Bülow-Cummerow nous paraît ici un guide indépendant et impartial : les faits que nous lui empruntons jettent une vive lumière sur toute une administration trop peu connue ; ils prouvent une fois de plus qu’il y a beaucoup de chances d’administrer mal quand on administre à huis-clos.

De 1839 à 1843, des conjonctures extraordinaires qui se présentèrent dans le trafic des grains amenèrent à la Prusse une masse considérable de numéraire et tournèrent entièrement à son avantage la balance du commerce. Pays pauvre par nature, privé, sur la plus vaste portion de sa surface, d’un capital assez considérable pour assurer une aide régulière au travail, la Prusse, momentanément enrichie, crut, comme un joueur heureux, qu’elle ne viendrait jamais à bout de sa richesse. Devant cette affluence inaccoutumée des capitaux, elle pensa qu’il n’y aurait pour elle que bénéfice à baisser l’intérêt de tous les fonds publics ; elle voulut tout de suite payer l’argent d’autant meilleur marché qu’il était plus abondant, sans se demander assez si cette abondance était normale. Il existe dans

  1. De la Situation politique de l’Allemagne en 1845, par M. Saint-René Taillandier, Revue du 15 novembre 1845.