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quelques-uns des poèmes de Tennyson, nous craignons fort de faillir à l’exacte reproduction de toutes ces exquises et vagues nuances qui en font le plus grand mérite.

Est-ce un bien, est-ce un mal que cette direction excentrique des poésies nationales ? Y gagnent-elles en originalité propre ce qu’elles perdent en puissance universelle ? Ces questions sont, je crois, faciles à résoudre, car elles reviennent à peu près à celles-ci : Vaut-il mieux être Voltaire ou Jean-Paul, Walter Scott ou Dickens ? Vaut-il mieux avoir écrit le premier ou le second Faust ? Vaut.-il mieux être Cervantes, l’auteur de Don Quichotte, ou Butler, l’auteur d’Hudibras ? Vaut-il mieux avoir écrit pour un peuple et pour une époque, ou pour tous les temps et pour le monde entier ?

Selon nous donc, toute littérature, toute poésie est dans une mauvaise voie, quand la voie où elle est la conduit à l’isolement. Pour trop particulariser l’observation, pour trop en restreindre le champ, pour l’individualiser trop, la réduire à de véritables minuties, les romanciers anglais cessent de nous donner des types intelligibles et surtout durables. Sans nier en aucune manière la popularité dont leurs créations jouissent aujourd’hui dans toutes les parties du monde où se parle l’idiome britannique, sans déprécier la sagacité particulière qui les a tirés du néant, convenons que ni M. Pickwick, ni M. Squeers, ni l’oncle Ralph, ni M. Pecksniff, ni Sam. Weller, ni Rose Maylie, ni mistriss Gamp, ni Paul Dombey, n’ont encore atteint la célébrité européenne de Roger de Coverley, de Blifil, de Meg-Merrilies, et tenons-nous pour certains que Tom Jones, Edie Ochiltrie, Bradwardine, survivront à ces types éclos d’hier, mais auxquels on sent déjà manquer l’avenir, tant on a peine à bien s’expliquer les préjugés particuliers, les sympathies individuelles ou locales, les opinions transitoires dont ils sont l’expression plus ou moins spirituelle.

Il en est de la poésie, à d’autres égards, comme du roman. Nous ne lui refuserons pas le droit de s’abreuver aux sources qui l’attirent. Que l’infortuné Keats ait composé son roman poétique d’Endymion et généralement tous ses premiers ouvrages d’après la Fidèle Bergère de Fletcher et le Triste Berger de Ben-Jonson, cela sans doute nous importe peu. Endymion n’en sera pas moins une charmante figure qui nous plaît par sa grace rêveuse, bien qu’on n’y reconnaisse guère le héros chanté par les antiques rhapsodes.

A smile was on his countenance ; he seemed
To common lookers on, like one who dreamed
Of idleness in groves Elysian…

Nous l’aimons pour sa prestance de statue grecque, le javelot en main, la peau de tigre sur l’épaule, quand il lance ses meutes bruyantes