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Si maintenant un sceptique chagrin me demandait ce qu’a produit tout ce mouvement si complaisamment décrit, je n’hésiterais pas, et je répondrais : Il nous a rendus capables de la révolution de 1830, et je croirais assez dire. En effet, il est remarquable que tout ce grand mouvement intellectuel, provenu d’une impulsion politique, a de même abouti à la politique. Aussi ai-je toujours pensé que le meilleur côté de notre temps, c’est la politique ; sa force est là. Là est à mes yeux l’honneur de la France, et, pour le dire franchement, dès que je verrai se refroidir le sentiment politique, je tremblerai pour mon pays.

Voilà donc le résultat de quinze années, une révolution irréprochable ! Cela est beau sans doute ; mais enfin une révolution n’est qu’un moyen, et ceux qui l’ont faite sont responsables aussi de ce qu’elle a produit : Je n’écris pas dans un journal, je ne parle pas à la tribune : il ne peut donc être ici question des affaires de l’état ; mais il y aurait bien un mot à dire des affaires de l’esprit. C’est un difficile sujet qu’un plus prudent n’aborderait pas. Manquons un peu de prudence.

Ce n’est point par la littérature seule que se témoigne l’esprit d’une nation. La religion, la politique, les institutions, la guerre, enfin le commerce lui-même, ont, aussi souvent pour le moins que la littérature, manifesté le rôle d’un peuple sur la terre, et fait connaître à tous comment il devait contribuer à l’éducation générale de l’humanité. Vers la naissance du christianisme, à l’époque de la réforme, on vit de grandes missions religieuses remplies même par de petits pays. La politique et la guerre ont été le partage de Rome et de toutes les nations, qu’on lui ose comparer. Les États-Unis d’Amérique ont instruit le monde par leurs institutions ; l’Angleterre, par les institutions, par la politique, par le commerce et l’industrie. La navigation fut jadis le principal moyen échu à l’Espagne pour montrer son génie et propager son influence. Aidée par des formes républicaines, elle a fait encore Gênes, Venise, la Hollande. Les arts ont été la douce part de l’Italie ; la guerre et puis la science ont grandi la Prusse. Le génie des sociétés revêt plus d’une forme, parle plus d’un langage. Sans parcourir toute la terre et toute l’histoire, venons à la France, et répétons, ce qui ne se conteste guère, que depuis soixante ans l’œuvre qui lui est assignée est de donner l’exemple d’une révolution sociale qui se constitue en gouvernement. Mais telle est de nos jours l’empire de la presse, que cette mission, lorsque la France ne l’accomplit point par les événemens, elle doit travailler à la remplir par sa littérature. En temps calme, l’activité pacifique étant la seule permise, la France n’a plus de rôle à jouer que dans le domaine de l’intelligence. Navigation, commerce, industrie, sous aucun de ces rapports, elle n’est la première ; sous tous ces rapports, elle a plus que des rivales. Quand la France n’est pas révolutionnaire