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voilà ce qui doit perpétuellement animer les hommes du parti de l’intelligence, Voilà les intérêts sacrés commis à leurs faibles mains.

J’ai prononcé ce mot, le sentiment de l’idéal. L’expression n’est pas très usitée, et l’on pourrait bien accuser tout ceci de métaphysique ou de poésie. Ce seraient deux grands crimes dont il m’importe de me défendre.

Il y a sans doute un monde idéal où un esprit métaphysique peut seul porter le regard. Il y a une beauté idéale qui ne se révèle que par inspiration à l’ame du grand artiste. Ce n’est pas de cet idéal suprême que je veux parler : il n’apparaît, si l’on ose dire, qu’à des intelligences divinement élues ; mais un idéal plus accessible, plus familier pour ainsi parler, ou plutôt le même sous des formes plus saisissables, est ou doit être présent à toutes les intelligences capables de quelque réflexion. C’est celui-là qu’il importe que la littérature ne laisse jamais s’effacer et se perdre, en cessant d’en épurer, d’en aviver l’image dans le miroir de l’intelligence.

Il est difficile de contester que l’effort ou, si l’on veut, la tendance de l’esprit humain ait été, depuis l’âge de la renaissance, de se gouverner par la raison seule ; ce fut certainement sa prétention avouée, son entreprise manifeste, depuis la fin du dernier siècle. Les ennemis de la philosophie et de la révolution le lui ont assez reproché. A mesure que l’on renonce à se laisser doucement aller à l’empire absolu des traditions, on tombe dans l’obligation de se faire sur chaque chose que la tradition réglait une règle que dicte la raison, c’est-à-dire qu’on remplace insensiblement en tout un fait par une idée, œuvre délicate et dangereuse qui ne s’achève pas en un jour, et dont le cours est souvent interrompu par des déviations, par des réactions, suites nécessaires peut-être de l’infirmité mobile de l’esprit humain. Mais cependant que faire ? Le mouvement est donné, il faut le suivre. On est en route, il faut marcher. Je sais qu’on se lasse, je sais qu’on s’égare ; on trouve qu’il y a plus d’obstacles et de dangers qu’on ne l’avait cru. Alors vient le découragement, on s’arrête, et, comme l’immobilité est devenue impossible, on est tenté de retourner sur ses pas. Il y a des momens, dans les voyages, où l’on ne sait plus que deux choses, languir ou revenir. Nous sommes, je le crains un peu, dans un de ces momens-là.

Il faut citer quelques exemples. J’en prendrai deux, l’un dans l’ordre le plus élevé, l’autre touche à ce qu’il y a de moins sublime, le monde de la vanité.

La religion, malgré d’immutabilité de ses dogmes, ne peut entièrement échapper aux variations de l’esprit humain. Son essence éternelle est exposée, en passant dans l’entendement des hommes, à s’y envelopper des formes que lui prêtent leur imagination, leur faiblesse, leur passion. Comme vérité, elle est immuable ; comme croyance, elle ne