Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’est pas. Elle n’est pas nécessairement conçue comme elle est, ou bien les hommes seraient infaillibles. On doit donc distinguer en elle une partie essentielle ou invariable, ce que la philosophie recherche, une partie accessoire et changeante, ce que l’histoire raconte. Avec plus ou moins de sagesse et de liberté, l’esprit humain s’efforce, et c’est son devoir, de se rapprocher sans cesse de cette vérité religieuse, ou de cette religion vraie qui n’est pas exactement celle de la pensée populaire, qui n’est pas même toujours celle des hommes que le monde donne au ciel pour ministres. Atteindre ce point de perfection fut dans tous les temps l’ambition des meilleurs parmi les grands esprits. Les temps modernes croyaient en général que cet effort n’avait pas été tout-à-fait stérile, et qu’au sein des sociétés cultivées, il s’était, depuis un ou deux siècles accompli un progrès dans l’ordre religieux autant que dans l’ordre philosophique. Par exemple, il semblait jusqu’ici que la religion des sages du temps de Louis XIV était plus éclairée (ce qui en définitive signifie plus vraie) que celle des moines du Xe siècle. Les gens sensés croyaient et croient, j’espère, encore que, lorsqu’on est chrétien, il faut essayer de l’être dans le sens de ceux qui cherchent à dégager la foi de toute variation historique, de toute addition superstitieuse, et que, lorsqu’on est purement philosophe, il faut tâcher d’être animé à l’égard du christianisme des sentimens de Leibnitz, ou du moins de Kant, ou, pour citer deux noms plus familiers, des sentimens exprimés dans quelques pages de Rousseau ou dans les lettres de Turgot sur la tolérance. En un mot, la raison poursuivait constamment et elle doit continuer à poursuivre une foi religieuse dont elle a l’idée, qui ne doit coûter aux hommes la perte d’aucune espérance et d’aucune vertu, mais qui de plus en plus doit s’élever au-dessus des fictions passionnées de l’imagination, toujours accessible aux séductions des sens. C’est là ce que j’appelle l’idéal religieux. C’est ce qu’on appelait dès le XVIIe siècle une religion éclairée. C’est une manière sérieuse et pure d’être chrétien ; c’est une foi qui tend au vrai et qui dédaigne toutes ces fables, tous ces préjugés, tous ces intérêts de la terre, survenus dans la religion comme les abus dans un bon gouvernement. Mais il est arrivé que, pendant qu’on cherchait cet idéal, dépassant bientôt non-seulement la foi raisonnée, mais le pur rationalisme, l’esprit humain, si rarement maître de lui-même, a tantôt violemment attaqué les bases de toute religion, tantôt paisiblement mis en oubli ses antiques besoins de saintes espérances. L’impiété est venue, l’indifférence a fleuri. C’était un mal ; pour y remédier, que fallait-il faire ? Persister dans le bien. On ne guérit pas d’un excès par un autre. Aux esprits téméraires ou moqueurs il fallait rappeler sans cesse, rappeler avec force que l’intelligence qui conçoit l’union de la raison et de la foi doit continuellement travailler sur elle-même pour la réaliser. Mais c’est là un idéal ; en le