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des Asturies. Napoléon sentit qu’il ne pouvait plus étayer sa politique sur une autorité avilie, minée dans ses fondemens, et que le torrent de l’opinion emporterait à la première crise. Godoy renversé, la toute-puissance passait dans les mains de Ferdinand. C’est avec Ferdinand que la France aurait désormais à traiter. Ce prince avait commencé à se révéler dans les dernières scènes de l’Escurial. Violent et faible tout ensemble, humble devant la force, que la force fût une tête couronnée ou un peuple en révolte, sans pitié pour ses ennemis abattus, ingrat envers les dévouemens même les plus fidèles, aussi prodigue de sermens que prompt à les violer, judicieux au fond, mais n’ayant que ce bon sens vulgaire dont les perceptions ne dépassent pas la sphère des intérêts du moment, ayant tous les instincts de la tyrannie, protecteur des moines et des vieilles idées, antipathique au mouvement civilisateur de l’Europe, ayant tous les préjugés et tous les défauts de son pays, et, à ce titre, populaire, tel était l’homme appelé par le vœu de tous les Espagnols et les droits de sa naissance à recueillir l’héritage de la reine et du favori. Il implorait aujourd’hui la protection de l’empereur, il lui demandait une épouse, parce qu’il était malheureux et opprimé ; mais, au fond, il n’y avait pas plus de sûreté à se fier à lui qu’au prince de la Paix. Napoléon eût désiré rencontrer, soit dans Charles IV, soit dans le favori, soit enfin dans le prince des Asturies, une base sur laquelle il pût s’appuyer : cette base, il ne la trouve nulle part ; le présent et l’avenir lui échappent également.

Ce n’est pas tout. L’exécution du système continental, difficile dans tous les pays, même dans ceux qui étaient le mieux disposés, par les conditions de leur industrie, à s’y soumettre, devait rencontrer en Espagne des obstacles sans nombre. Les uns tenaient à sa configuration géographique, les autres aux vices de son gouvernement et aux habitudes des populations. La mer l’enveloppe et la presse sur presque tous les points de ses limites. Pour garder une si grande étendue de côtes, il fallait une administration douanière fortement organisée. Celle qui existait alors se ressentait de l’état d’abandon dans lequel le prince de la Paix avait laissé tomber tous les services. Trop peu nombreuse pour suffire à la surveillance des côtes et mal payée, elle était vendue presque tout entière aux Anglais. Grace à ce concours de circonstances, la contrebande s’était en quelque sorte acclimatée dans les provinces maritimes de l’Espagne ; elle était entrée profondément dans les mœurs et dans les habitudes des populations ; elle était devenue, pour les hommes jeunes et entreprenans, une industrie régulière et lucrative. L’application rigoureuse du système continental aux ports et aux côtes de la Péninsule n’était donc rien moins qu’une révolution tout entière qu’il s’agissait d’opérer dans le régime financier, économique et moral de cette grande contrée. Il fallait faire violence aux habitudes et aux intérêts