Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

desquels se faisait la guerre venaient de la Grande-Bretagne ; que, puisqu’elle payait, ses avis devaient prévaloir ; qu’il fallait, dans l’intérêt de tous les coalisés, commencer par ruiner notre marine et notre commerce dans la Méditerranée, et, pour cela, nous prendre Toulon. Soit haine de Louis XIV, soit sympathie pour l’agrandissement de sa maison, le prince Eugène penchait pour ce parti. Une lettre du maréchal de Tessé, datée de Suse, le 4 mai, donna le premier avis des véritables projets des coalisés[1].

Les correspondances du temps font voir dans quel dénûment profond ces événemens saisissaient notre pays ; mais elles témoignent aussi que l’énergie du gouvernement et de la nation fut encore plus grande que le danger, et, comme dans les grands jours de la révolution, elles vainquit la fortune jalouse.

Tout manquait, les armes, les munitions, l’argent. La ville d’Arles s’étant procuré 1,500 fusils pour sa défense, on lui en prit 1,300 pour armer les troupes de ligne. Dès le 17 janvier, le ministère prévenait M. Lebret, intendant de Provence, qu’il n’avait à compter sur aucun envoi de fonds du trésor, et l’invitait à faire, pour les besoins les plus urgens, un emprunt de 500,000 francs, à l’intérêt de 10 pour 100 ; la négociation n’ayant pas réussi, on l’autorisait à offrir 14 pour 100, et si la garantie de l’état n’est pas trouvée suffisante, lui disait le ministre avec une noble confiance, vous vous engagerez personnellement. M. Lebret s’engageait sans demander d’autres explications. Il faisait plus il portait à la monnaie son argenterie et celle de son père, président au parlement d’Aix, alors absent. Ces exemples étaient suivis avec l’impétuosité que portent les Provençaux dans les bonnes et dans les mauvaises choses ; gentilshommes, bourgeois, paysans, magistrats, clergé, peuple des villes, tous luttèrent de vigueur et de dévouement : les évêques de Riez et de Senez s’épuisèrent à procurer des blés à l’armée, les communes à nourrir les soldats. L’homme qui, avec M. Lebret, contribua le plus à imprimer ce mouvement fut le comte de Grignan, gendre de Mme de Sévigné : Provençal lui-même, exerçant un commandement dans le pays, il parlait le langage qui convient à ses compatriotes et souleva ces bandes de partisans qui, répandus sur les flancs, à la suite et quelquefois en tête de l’ennemi, fusillaient impitoyablement ses fourrageurs, ses pillards, ses traînards, et contribuèrent puissamment à sa défaite, Une troupe d’entre eux poussa l’audace jusqu’à enlever le drapeau d’un régiment piémontais et pria le maréchal de Tessé de l’offrir au roi. A l’approche de l’ennemi, les paysans retirèrent leurs approvisionnemens dans les montagnes et brûlèrent les meules de fourrage et les denrées qui ne pouvaient pas

  1. Cette lettre appartient à la collection de Provence, des manuscrits de la Bibliothèque royale : les 65e, 66e et 67e volumes de cette collection se rapportent à l’année 1707, et une partie des détails qui suivent en est extraite.