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s’emporter. Ainsi, dans leurs marches du Var à Toulon et de Toulon au Var, le prince Eugène et le duc de Savoie purent se dire de la Provence ce que le cardinal Dubellay disait à François Ier du Roussillon : que c’était un pays d’où l’on était chassé par les armes si l’on était en petit nombre, et par la faim si l’on était en force.

Tel était l’état moral de la province, lorsque, le 11 juillet, l’armée coalisée, forte de 45,000 hommes, passa le Var ; son matériel de siège était embarqué sur la flotte anglo-hollandaise, composée de 106 voiles, et celle-ci devait régler sa marche sur celle des troupes de terre. On savait que Toulon était sans garnison, sans flotte, que les seules troupes qui pussent le secourir étaient disséminées à de longues distances ; la possession de ce but des opérations de la campagne était donc le prix de la course. Le prince Eugène le sentait bien ; il voulait se porter rapidement sur la place, faire un débarquement à l’ouest, c’est-à-dire à Saint-Nazaire ou dans la rade même, alors fort mal défendue, s’établir entre la ville et les troupes envoyées à sa défense, et prendre celle-ci à revers avant que les moyens de résistance y fussent organisés. Envoyant, dans les récits et les correspondances du temps, quels prodiges d’activité il fallut au maréchal de Tessé pour arriver à Toulon avant l’armée ennemie, on frissonne de ce qui serait arrivé, si le plan du prince Eugène avait prévalu. Les rapports de M. de la Blottière, commandant le génie dans la place, établissent que si les Impériaux se fussent présentés le 20 juillet, comme ils l’auraient pu, elle était infailliblement prise. Heureusement le prince Eugène n’était pas seul ; il ne pouvait agir ni sans le duc de Savoie, qui faisait la campagne comme général et comme souverain, ni sans l’amiral anglais Showel, qui commandait la flotte. La mollesse et l’incapacité de l’amiral firent perdre quatre jours après le passage du Var ; le duc de Savoie fut arrêté toute une journée devant Cannes par M. de Lamothe-Guérin, commandant de Sainte-Marguerite, et en passa deux à Fréjus à préparer sa future souveraineté sur le pays : les Impériaux ne furent, en un mot, devant Toulon que le 26. Ils s’attendaient à trouver la place dégarnie, et leur surprise fut grande en apercevant 20,000 hommes établis au nord des remparts, dans le camp retranché de Sainte-Anne. Le maréchal de Tessé avait fait arriver à marches forcées dix-neuf bataillons le 23 et dix autres le 25 ; les retranchemens avaient été faits en trois fois vingt-quatre heures ; tout le monde y avait mis la main ; on portait les drapeaux sur les travaux, comme pour un combat, et les officiers-généraux eux-mêmes ne les quittaient ni jour ni nuit. Dans la ville et dans le port, l’activité n’était pas moindre que dans le camp ; les habitans dépavaient les rues, faisaient des réservoirs et se préparaient pour un bombardement ; la marine armait les remparts avec l’artillerie des vaisseaux ; il semblait que ce fût la foire aux canons, tout matelot devint canonnier et jamais