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à l’ouest de la poudrière de Millaud, il existait sur ce point une anse assez profonde ; en moins d’un siècle, l’anse s’est comblée, et le nouveau Las a jeté devant soi un delta de 18 hectares ; celui de Brégaillon en a près de 20. Les parties extérieures de ces dépôts ne sont que le sommet des masses incalculables de limon qui leur servent de base, et leur apparition au-dessus des eaux est le signe de l’immensité des atterrissemens qui se sont étendus au-dessous. N’est-ce point assez de constater la marche de l’envasement par l’entrée des eaux troubles dans la rade ? Faut-il chercher, dans les vides que les dépôts laissent ailleurs, une preuve surabondante de leur déplacement ? Qu’on remonte la vallée du Las et ses nombreuses ramifications : on reconnaîtra, aux profondes érosions du sol, les places naguère remplies par les terres dont il faut aujourd’hui purger la rade à si grands frais. Ainsi, l’exhaussement du bassin maritime correspond à l’abaissement du bassin territorial dont les eaux s’y déversent, et le progrès des alluvions s’opère avec la clarté rigoureuse d’une équation.

L’extrême vulgarité de ces observations a pu les faire échapper à l’attention des savans qui se sont occupés du curage de la rade ; les faits auxquels elles se rapportent ne sont, pour cela, ni moins certains ni moins considérables, et leur admission assigne à l’envasement trois causes au lieu de deux : peut-être même n’a-t-on pas attribué aux évacuations du port toute l’influence qu’elles exercent sur les phénomènes qu’on a signalés. La manière d’entendre la propreté n’est pas la même dans tous les pays : celle des habitans de Toulon consiste à confier aux ruisseaux d’eau vive qui s’écoulent dans la darse après avoir rafraîchi leurs rues, les engrais énergiques qui se produisent journellement dans leurs ménages ; ils font de leur port un dépôt de fumiers d’une extrême richesse, et les eaux s’y chargent de toute espèce de sels fertilisans. Dans cet état, elles se mêlent aux matières limoneuses que leur ténuité tient en suspension dans la rade, et qui, fécondées de la sorte, se déposent sur les plantes sous-marines. La plupart de celles-ci se développent par la projection de radicules latérales, et le limon qui les chausse continuellement explique la rapidité de leur croissance. Dans le voisinage des darses, où ces effets sont le plus sensibles et le plus fâcheux, le fond s’exhausse précisément comme le fait dans nos jardins une couche d’asperges ; rien n’y manque, ni la plante, ni le remblai, ni le fumier, et les embarras de la navigation viennent de ce que les combinaisons les plus perfectionnées de l’horticulture se réalisent, sans que personne y pense, dans un lieu où elles ne sont point à leur place.

Si ces faits sont exacts ; l’envasement de la rade peut être méthodiquement attaqué dans la végétation sous-marine, dans les évacuations du port, et dans les cours d’eau qui servent de véhicules aux alluvions.