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pas d’être entraînées. Le bassin des eaux qui s’écoulent dans la petite rade comprend environ 5,000 hectares. Une partie est tapissée de prairies susceptibles d’acquérir, par un meilleur emploi des eaux qui les arrosent, une assez grande extension ; une autre est couverte de rochers lisses, et si, pour évaluer l’espace à regarnir, il suffisait de l’avoir considéré dans de longues promenades, j’oserais affirmer qu’il n’atteint pas la moitié de la superficie totale. Quelle que fût, du reste, la dépense du détournement du Las et du reboisement, elle ne serait jamais qu’une imperceptible fraction des avantages maritimes qu’elle procurerait ; peut-être même, en la commençant immédiatement, en économiserait-on une partie sur les travaux du curage général.

Le concours de ces mesures n’empêcherait ni les eaux claires que recevrait la rade de déposer quelques sédimens, ni la poussière apportée par les vents de modifier par la suite des siècles une surface qui la recevrait sans la rendre ; mais, si l’envasement n’était pas tout-à-fait arrêté, il serait tellement ralenti que plusieurs générations pourraient passer sans en apercevoir les progrès. Nous savons aujourd’hui ce que nous coûte la négligence de nos pères ; la nôtre n’aurait pas les mêmes excuses et entraînerait bien plus de dangers : ne mettons pas nos neveux en droit de la maudire.

La petite rade approfondie pourra contenir toutes nos forces navales de la Méditerranée. Un abri semblable était d’autant plus nécessaire à leur ouvrir, que les nouveaux moyens d’attaque fournis par la marine à vapeur ôtent à la grande rade une partie de son ancienne sûreté. Celle de la petite rade va s’accroître par le rétrécissement de 1,200 à 750 mètres de la passe comprise entre la pointe de l’Éguillette et la Grosse-Tour. De formidables batteries couronneront les musoirs de jetées qui partiront de ces deux points, et l’intervalle se fermera, en temps de guerre, avec des chaînes de fer soutenues sur des pontons ou des radeaux. Les moyens de défense de la petite rade seront de la sorte mis au niveau de ses avantages naturels et de l’immense valeur du matériel qui lui sera confié.

Telle est et telle sera bientôt la rade de Toulon. Cependant, pour être un établissement militaire parfait, une chose essentielle lui manque : c’est une sortie à l’ouest. Les rades de Brusc, de Bandol, de la Ciotat, de Jarre, devraient lui servir de prolongement et la lier au golfe de Marseille ; mais les avantages du voisinage sont neutralisés par la lenteur des communications : il faut, par certains vents, plusieurs jours pour doubler le cap Sicié, et faire par mer un circuit dont un homme à pied parcourt la corde en moins de deux heures.

On dit qu’en étudiant le terrain qui devait être le premier théâtre de sa gloire, Napoléon demanda pourquoi l’on ne creuserait pas un canal maritime entre la rade de Toulon et la baie de Saint-Nazaire ; la moindre