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par les altérations et les additions répétées que le même récit, a dû subir en passant de bouche en bouche chez un peuple rempli d’imagination, beaucoup plus sensible à la forme de la narration qu’au sens qu’elle renfermait. En Grèce, les poètes prêtèrent des passions aux héros et aux dieux, comme les sculpteurs donnèrent des formes humaines aux monstrueuses idoles qu’ils avaient reçues de l’Asie. D’un autre côté, par suite de la grande analogie qu’ont entre eux les différens cultes de la nature, des superstitions étrangères, s’introduisant de bonne heure dans les religions helléniques, les modifièrent et y apportèrent de nouveaux épisodes qui vinrent s’encadrer çà et là dans le cycle des légendes nationales. C’est ainsi que nous avons vu l’aventure d’Omphale, empruntée au culte du Sandon de Lydie, prendre place dans le mythe d’Hercule. L’Asie et l’Égypte ont exercé la plus grande influence sur la mythologie grecque, et n’ont pas peu contribué à en augmenter le désordre.

Quelque incohérentes que fussent ces histoires héroïques ou divines, elles composèrent, pendant un espace de temps assez long, toute la masse de connaissances que possédassent les anciens. C’était, pour me servir de l’heureuse expression de M. Grote, tout leur fonds intellectuel (their mental stock). Dès une époque fort reculée, quelques esprits hardis, choqués de tant d’absurdités et de contradictions, essayèrent d’interpréter les mythes et d’y chercher un sens qui satisfît la raison. Plusieurs philosophes, faisant ressortir des vérités morales plus ou moins déguisées sous des allégories, voulurent rendre utiles les vieilles légendes, en les commentant à leur manière. D’autres y, cherchèrent de l’histoire et proposèrent un système d’explication qui, supprimant tous les miracles, changeait les récits les plus merveilleux en une espèce de chronique poétisée. Telle fut la méthode d’Évhémère, qui, pour cette tentative, encourut le reproche d’impiété et la colère des prêtres et des païens orthodoxes. Avec lui, plus de dieux, plus de héros, plus de prodiges. Jupiter était un roi de Crète ; les centaures, des gens qui montaient bien à cheval ; Pluton, un richard, qui, pour garder ses trésors, se servait d’un mâtin hargneux, nommé Cerbère, ayant triple gueule, comme le chien de La Fontaine. Ces systèmes eurent, comme il semble, assez peu de vogue en leur temps, ou tout au plus ne servirent qu’à donner des armes au scepticisme. Pour les masses, les mythes demeurèrent une chose sacrée qu’on ne devait pas approfondir. La doctrine : point de raison, n’appartient pas au père Canaye, elle est renouvelée des Grecs ; parmi eux, elle était favorisée prodigieusement par la beauté de la poésie fondée sur ces antiques traditions, et les merveilles des arts, les pompes religieuses, l’orgueil national, rappelaient à chaque instant les vieilles croyances et les rendaient chères à ceux mêmes qui voulaient en douter.