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rayon de Santarem et de Torres Vedras, le maréchal Saldanha suivait la meilleure tactique : il couvrait Lisbonne et épiait les mouvemens de ses adversaires. Après ce grand succès, il y eut un temps d’arrêt ; l’insurrection se montra moins menaçante : Coïmbre ouvrit ses portes ; Setuval, que les autorités n’avaient pu conserver à la reine, faute de troupes, rentra dans l’obéissance. Personne, cependant, ne crut la guerre terminée, et l’attitude du gouvernement prouva qu’il s’attendait à voir la lutte entrer dans une nouvelle phase. Les soldats faits prisonniers dans l’action furent incorporés dans les régimens et amnistiés avec effusion, tandis que les populares expiaient leur enthousiasme dans les prisons flottantes du pays et dans celles plus redoutées du fort Saint-Julien et du Limoeiro. On continua de tenir la capitale en état de siège et de défense ; quelques canons dominaient la campagne du haut des remparts, les bastions étaient réparés ; sur le pont d’Alcantara, des barils pleins de pierres et de sable simulaient une ligne de créneaux. Des fossés coupaient les routes ; certaines portes demeuraient constamment fermées, et on ne pouvait sortir de la ville sans une permission spéciale. Il n’y avait plus à Lisbonne ni employés, ni marchands, ni bourgeois, mais bien des militaires forcés de faire un service actif autant que pénible et d’aller s’exercer comme des troupes réglées : paisible soldatesque, qui donnait l’exemple de l’ordre et de la soumission. Le soir, à peine le coucher du soleil avait-il été annoncé par le canon de la rade, que les gardes municipaux, deux à deux, marchant à pas de loup, se glissaient le long des quais et prêtaient l’oreille à la porte des cafés, dans l’espérance de surprendre les secrets qu’on n’osait plus confier à la poste. D’un autre côté, les insurgés interceptaient les routes de l’intérieur, de sorte qu’il n’arrivait plus de lettres par terre ni de France, ni d’Espagne. Le Portugal ressemblait à une île ; on y recevait tous les dix jours, par les paquebots anglais, les nouvelles de Paris et même de Madrid.

Ce n’était pas la terreur, dans l’effroyable acception que nous donnons à ce mot, mais simplement la peur qui régnait à Lisbonne. La reine multipliait ses promenades ; le roi se montrait à cheval sur tous les points de la capitale, qui semblait demander grace et trêve de guerre par son abattement, par sa tristesse et par sa misère. Ce peuple respectueux éprouvait encore de la satisfaction à voir ses princes, et cependant ses souffrances croissaient de jour en jour ; il y avait des gens sans cœur qui payaient l’ouvrier en papier-monnaie, c’est-à-dire en lui faisant perdre un quart de son salaire, et cela quand les denrées augmentaient de prix. L’argent devenait introuvable, à tel point que, dans sa visite aux hôpitaux, la cour, ne trouvant plus de cruzadas, dut distribuer des piastres espagnoles et des pièces de cinq francs. Ne pouvant équiper tous les volontaires des nouveaux bataillons,