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le gouvernement eut la singulière idée de compléter ses ressources insuffisantes avec le produit d’un concert organisé en quelque sorte au bénéfice du ministère de la guerre. Les fidalgos indépendans qui refusaient de prendre les armes s’enfuyaient, ceux-ci à Gibraltar, ceux-là à Londres ; la délation découvrait partout des suspects. Députés, journalistes, gentilshommes, officiers en retraite, étaient envoyés au triste Limoeiro, la Conciergerie de Lisbonne. Le prisonnier, en Portugal, se nourrit de ses deniers s’il est aisé ; s’il est pauvre, la charité publique lui fournit ses alimens par les soins d’une confrérie. On croira sans peine que les nombreux populares placés sous les verrous faisaient maigre chère. Couverts de vêtemens en lambeaux que les pluies de la saison avaient pourris, harassés par les fatigues de la campagne, entassés dans des prisons trop étroites, ces malheureux tombèrent dans un tel état de malpropreté, qu’il fallut appeler des barbiers ; la vermine les dévorait tout vivans. Tels sont les affreux effets des révolutions, le résultat des mesures que le pouvoir se croit obligé de prendre, quand il ne s’appuie plus sur l’opinion.

Comme contraste à ce désordre, une flotte anglaise, forte de sept vaisseaux de ligne et d’un certain nombre de grands bateaux à vapeur, mouillait dans le Tage. Elle portait plus d’hommes propres aux combats que n’en comptaient les deux parties belligérantes. Après avoir montré ses grosses batteries sur la côte d’Andalousie à l’époque du mariage de la reine d’Espagne, cette belle escadre était venue se reposer devant Lisbonne. Elle avait la mission avouée de recevoir la reine, si les événemens la contraignaient à fuir, et de la défendre, si la cour se trouvait menacée. Sa présence assurait aux Anglais une parfaite sécurité, une entière protection ; chaque étranger déjà, redoutant l’arrivée des guerilhas, avait arboré sur ses propriétés son pavillon national, et les environs de cette ville accablée de souffrance empruntaient à cette circonstance un air de fête. Combien de Portugais auraient voulu, pour quelque temps du moins, s’abriter sous ces bannières ! Plus que jamais, le peuple manquait de ressources et de travail ; heureusement la flotte britannique lui vint en aide. Tant de matelots et de soldats, tant de riches officiers qui ne manquaient ni de loisirs, ni d’argent, jetèrent dans les marchés un peu d’or. D’ailleurs la prévoyante nature avait envoyé à cette population affamée une manne inattendue : des bancs de sardines envahirent le Tage au milieu de la mauvaise saison. On eût dit une pêche miraculeuse, à voir les barques pleines jusqu’au bord rentrer chaque soir par centaines, apportant au pauvre une nourriture peu coûteuse et inépuisable. Jamais, de mémoire d’homme, on n’avait vu les pêcheurs du fleuve retirer leurs filets si richement chargés.

Tandis que le maréchal Saldanha parcourait en vainqueur, pendant