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la perfidie de Charles IV lui-même, qui, au mépris de notre alliance, voulut me faire la guerre lorsqu’il me crut tout occupé de celle de Prusse, peu avant la bataille d’Iéna. Jamais, je le répète, je ne compterai sur l’Espagne, tant que les Bourbons y régneront. Les forces de cette nation, considérables de tout temps, peuvent augmenter encore sous un homme de mérite qui serait à la tête du gouvernement, et s’élever au point de nuire à mon repos ; ne vous étonnez donc point, chanoine, si je vous répète : Mauvaise politique ! »

Le chanoine s’efforça de démontrer que la proclamation du 5 octobre n’était point le fait de Charles IV, mais du prince de la Paix ; puis il fit un tableau touchant de la confiance que Ferdinand avait toujours témoignée à l’empereur. « Lorsqu’il n’était que prince, dit-il, il vous instruisit, au péril de sa vie, du désir qu’il avait de s’unir avec une princesse de votre maison. Il a renouvelé par écrit sa demande à son avènement au trône. Il ne s’est point inquiété du refus fait par vos représentans de le reconnaître roi. Il est venu en personne solliciter votre alliance, et, sans crainte, sans soupçons, se mettre, avec la confiance d’un fils, à votre disposition. L’idée qu’il avait conçue de la justice et de la générosité d’un héros a éloigné toute défiance de son cœur. » L’abbé finit en s’étendant sur l’heureuse influence qu’exercerait un mariage qui attacherait à jamais le nouveau roi à la famille impériale. « Vous me faites des contes, chanoine, lui répliqua l’empereur ; vous n’ignorez pas qu’une femme est un lien trop faible pour fixer la politique d’un souverain, et qu’on ne peut la comparer en rien aux sentimens qu’inspire une origine commune. Qui me répondra que l’épouse de Ferdinand aura sur lui de l’ascendant ? Cela ne dépend-il pas du hasard, des circonstances ? D’ailleurs, la mort peut rompre tous ces liens, et la haine, assoupie momentanément, se réveillerait alors avec plus de force. » L’empereur dit encore beaucoup d’autres choses que le chanoine n’a pu reproduire dans son récit ; il s’étendit longuement sur le personnel des princes d’Espagne, notamment sur Ferdinand. Il dit qu’il ne s’était pas attendu à rencontrer dans le fils aîné du roi d’Espagne tant d’incurie et d’ignorance ; il railla amèrement le chanoine du brillant élève qu’il avait formé, et le laissa muet et désespéré. Il mit fin à ce pénible entretien en disant à l’abbé qu’il réfléchirait de nouveau sur la question, et qu’il l’instruirait le lendemain du parti qu’il aurait pris.

Le 21 au matin, comme il l’avait dit, l’empereur fit appeler le chanoine et lui dit : « Je me suis décidé irrévocablement à changer la dynastie qui règne en Espagne. Vous pouvez en instruire le prince Ferdinand ; dites-lui de se décider avant l’arrivée du roi Charles son père. Relativement à l’échange de ses droits contre la Toscane, s’il accepte, le traité sera fait avec la plus grande solennité : dans le cas contraire, son refus deviendra toujours inutile, car j’obtiendrai de son père la cession que je désire. La Toscane restera alors à la France, et son altesse royale