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d’un criminel qui vient d’entendre la sentence de ses juges. Son courage était épuisé. A partir de ce moment, il n’essaya plus de lutter. Le 6 mai, il envoya à son père son abdication pure et simple ; mais Charles IV n’avait point attendu que son fils lui eût rendu sa couronne pour la céder -lui-même à l’empereur. La veille, 6 mai, il avait signé cet acte d’abandon, et n’y avait mis que deux conditions : la première, que la monarchie espagnole conserverait son intégrité territoriale ; la seconde, que la religion catholique continuerait d’être la religion exclusive du royaume. Le traité fut signé au nom de l’empereur par le grand-maréchal Duroc, et au nom de Charles IV par le prince de la Paix. Napoléon donna pour résidence aux vieux souverains le château de Compiègne, et, en toute propriété, le château de Chambord et ses dépendances avec un revenu annuel de 8 millions de francs. Un revenu de 100,000 francs fut assuré à chacun des infans.

Ferdinand confirma solennellement, par un acte qui fut signé le 10 mai, la renonciation de son père. L’empereur s’engagea à lui payer un revenu de 1 million de francs, et lui garantit la possession, pour lui et ses héritiers, des palais et domaines de Navarre. Le chanoine Escoïquitz eut la douleur d’attacher son nom à ce traité, qui consacrait la ruine de son maître. La postérité ne séparera point les noms de Godoy et d’Escoïquitz dans cette triste et honteuse histoire des discordes et des malheurs de la maison d’Espagne.

Les infans don Antonio et don Carlos adhérèrent, le 12 mai, aux renonciations de Charles IV et de Ferdinand.

L’acte de spoliation est consommé : Napoléon tient maintenant dans ses mains la couronne des Espagnes. Sur quel front va-t-il la placer ? Son choix est fait. Louis l’ayant refusée, c’est, comme nous l’avons dit, à son frère le roi de Naples qu’il a résolu de l’offrir. Il en avait informé le grand-duc de Berg ; mais ce prince, qui ambitionnait la couronne pour lui-même, et qui espérait que Joseph la refuserait à l’exemple de Louis, continuait de travailler à Madrid pour son propre compte. Il s’était appliqué avec plus d’activité que d’art à se créer des partisans dans les grands corps de l’état ; il avait fait sonder les membres les plus influens du conseil de Castille et même ceux de la junte suprême. M. de Laforest, au lieu de combattre des tendances et des désirs contraires aux desseins de l’empereur, eut la faiblesse de les encourager. Voici ce qu’il écrivait le 11 mai à M. de Champagny : « Bien que son altesse impériale le grand-duc de Berg ait fait répandre de proche en proche que sa majesté le roi de Naples était destiné à régner en Espagne, j’aperçois, depuis trois jours surtout, une sorte de froideur dans le public à se prononcer pour Joseph Napoléon plutôt que pour Joachim. » L’empereur fut surpris et blessé que le grand-duc de Berg osât convoiter un trône destiné au frère de son souverain, et que son ambassadeur eût accepté un rôle subalterne dans cette misérable intrigue. Il