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fit adresser à ce dernier de sévères reproches. Le même jour où M. de Laforest adressait à M. de Champagny la lettre que nous venons de citer, le 11 mai, ce ministre lui écrivait :

« Lorsque sa majesté vous a placé près de son altesse impériale, son intention a été de mettre auprès du prince un homme qui eût ce qu’il ne peut avoir, l’expérience des affaires et la connaissance des hommes, qui pût prêter aux qualités brillantes de son altesse impériale l’appui des lumières acquises dans une longue carrière civile, et de ce sang-froid avec lequel l’homme versé dans les affaires juge les choses. L’empereur trouve que vous n’avez pas rempli ses intentions. Il vous accuse d’une secrète faiblesse que la séduction du prince rend du reste fort excusable, d’avoir été conduit là où vous deviez conduire, et de vous être laissé aller à une complaisance qu’il appelle de la flagornerie… Son opinion est qu’il n’y a pas une voix pour le grand-duc, qu’il ne peut pas y en avoir, que la nation espagnole, étant toujours dans cette situation de haine et d’humiliation où les derniers événemens l’ont mise, doit, par amour-propre, désirer moins que tout autre le grand-duc, qui, dans un jour, a confondu son orgueil et renversé toutes ses espérances… »

L’acceptation de la couronne d’Espagne par le roi de Naples mit tout naturellement un terme aux espérances et aux secrètes menées de Murat. Si Joseph n’avait consulté que sa modération naturelle, il eût préféré son beau et paisible royaume italien au périlleux honneur de venir régner sur les Espagnes ; mais il craignit, par un refus, de jeter son frère dans d’inextricables embarras. Il accepta donc la nouvelle et orageuse destinée que Napoléon venait d’ouvrir à l’ambition de sa famille ; il quitta Naples et se rendit à Bayonne.

L’empereur, tout en faisant violence à la nation espagnole, voulait avoir l’air de céder à ses désirs. Il tenait surtout à ce que le premier corps de l’état, le conseil de Castille, prît l’initiative et exprimât officiellement le vœu que la couronne fût déférée à son frère Joseph ; mais le grand-duc de Berg et l’ambassadeur de France rencontrèrent dans cette assemblée des résistances auxquelles ils ne s’étaient pas attendus. Le conseil de Castille ignorait encore le traité par lequel Ferdinand avait cédé tous ses droits au trône, et ne se considérait point comme délié du serment qui l’attachait au roi légitime. Les plus sévères s’indignaient que l’empereur voulût les obliger à prendre l’initiative d’une défection qui les déshonorerait aux yeux de leurs concitoyens. Beaucoup, à demi gagnés par Murat, n’osaient émettre un vœu en faveur de Joseph, de peur de se faire un ennemi du premier. Il fallut, pour triompher des scrupules du conseil, que le grand-duc et l’ambassadeur lui donnassent communication du traité de cession signé le 10 mai à Bayonne. Le 13, l’assemblée envoya au grand-duc une adresse rédigée avec une réserve et une sécheresse calculées pour sauver la dignité de ce corps. Il déclara qu’il lui paraissait convenable qu’en exécution de ce qui avait été ordonné par l’empereur, le choix tombât sur son frère aîné, le roi