nous ne connaissons que trop son passé. -Restait donc la poésie lyrique. Je ne sais s’il est vrai, comme l’affirmait M. Jouffroy, que la poésie lyrique soit toute la poésie ; mais au moins est-elle l’expression de la pensée poétique la plus vive, la plus franche, la plus dégagée d’entraves. Là le poète ne disparaît plus derrière ses personnages, derrière le récit ou l’action, comme dans l’épopée ou le drame. Soit que, contemplant le monde extérieur, il chante les magnificences de la nature ou la grandeur et les misères des sociétés humaines, soit que, rentrant en lui-même, il exprime dans un langage mélodieux ses joies et ses douleurs, il ne relève que de lui-même ; cela est si vrai, qu’au temps où chaque genre était soumis à des règles, on voulait bien reconnaître que la première règle de l’ode était de n’en point avoir. La poésie lyrique est donc la poésie par excellence, et nul que je sache ne conteste à notre siècle la gloire de l’avoir portée très haut. Les détracteurs des modernes ont été obligés de céder sur ce point dans l’espérance qu’ils pourraient se dédommager sur un autre ; mais que faut-il donc pour illustrer un siècle, si cette gloire qu’on nous accorde ne suffit pas ?
Cette forme poétique a cet avantage, qu’elle met en valeur tous les talens. Jadis le pauvre poète qui arrivait dans la littérature se croyait obligé de payer sa bienvenue avec une tragédie en cinq actes ou un poème en douze chants. La charge était trop lourde, presque toujours il succombait. L’épopée et le drame demandent au poète autre chose que de l’inspiration ; il faut que cette inspiration soit soutenue et ménagée habilement ; il faut une habitude d’observation, une science des passions, souvent des connaissances positives, toujours une espèce d’adresse qui peut manquer au génie le plus riche et le plus fécond. Plusieurs se sont ainsi fourvoyés, Ducis et Joseph Chénier, par exemple. Ces hommes-là valaient mieux que leurs œuvres ; ils y ont dépensé beaucoup de vigueur, d’efforts, d’inspiration énergique ou naïve ; leurs tragédies sont oubliées, et les seules choses qu’on relise encore dans leurs œuvres, ce sont des lambeaux de poésie toute personnelle, quelques vers échappés à leur ame attendrie ou indignée, et sur lesquels ils ne fondaient pas, à coup sûr, l’espoir de leur renommée à venir ; encore ces poésies, peu connues, restent écrasées sous le fardeau de leurs drames. Le théâtre est un monstre qui a dévoré bien des poètes. Au contraire, loin d’étouffer le souffle divin, la poésie lyrique le sert et l’enhardit : elle est facile et accueillante ; toute ame qui a reçu le don sacré, à quelque dose que ce soit, est bienvenue auprès d’elle ; elle accueille le poète gracieux comme le plus fier génie, Anacréon comme Tyrtée, et chacun d’eux arrive à la gloire aussi vite et aussi bien. Cette forme lyrique, si souple et si flexible, ressemble un peu aux fameuses bottes dont parle le conte de Perrault : comme elles étaient fées, s’élargissant ou se rétrécissant, elles allaient également bien aux pieds de tous