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qu’on est souvent étonné de surprendre dans un poète médiocre des accens vrais et pénétrans.

Il est vrai que cette poésie a bien ses inconvéniens, et les lecteurs, accusés d’indifférence pour les poètes, auraient peut-être droit de se justifier en récriminant. Cette poésie intime a ses artifices la Muse, dit-on, se présente en déshabillé, mais en déshabillé galant ; c’est-à-dire que, de toutes les toilettes, elle a choisi celle qui suppose le plus de coquetterie. Le poète nous dit souvent qu’il ne chante que pour lui, comme le rossignol dans les ténèbres ; mais, à la différence du rossignol, il sait qu’il y a une oreille ouverte pour l’entendre, ce qui altère un peu la naïveté de ses chants. D’ailleurs, les douleurs intimes, quand on en fait confidence à tout le monde, sont déjà un peu consolées, et il arrive parfois que les émotions les plus poignantes touchent médiocrement le lecteur, quand il réfléchit que le poète a eu le courage de les raconter en bons termes, et que le désespoir ne lui a pas ôté la force de surveiller l’impression de son livre et d’en préparer le succès.

 :Chi può dir com’ egli arde, è in picciol fuoco.


Le contre-coup de cette poésie factice se fait sentir dans l’existence du poète. Il faut arranger sa vie pour justifier son œuvre ; on prend un rôle, on adopte un costume, et il y a peut-être tel malheureux, naturellement gai, qui, en publiant un volume de poésies éplorées, est contraint, dans l’intérêt de sa gloire, d’avoir toujours le front triste, le sourire amer ; et, quand il est de belle humeur, de ne l’être jamais qu’incognito. Racine et Corneille avaient sur nos modernes cet avantage, qu’ils pouvaient être heureux sans que cela fît le moindre tort à leur réputation ; un élégiaque ne saurait être joyeux impunément.

Ce rôle, factice d’abord, peut devenir naturel ; à force de sonder ses plaies, on finit par les agrandir ; on trouve une âpre jouissance à les envenimer. Cette sensibilité égoïste, que l’on surprend chez quelques poètes, cette perpétuelle compassion de soi-même les rend injustes et leur fait croire qu’il faut avoir un cœur de fer pour ne pas s’attendrir sur eux-mêmes autant qu’ils le font : ceux-là sont à plaindre. Mais l’amour-propre prend quelquefois des formes plus gaies ; un autre en vient à se préoccuper tellement de sa personnalité, que le moindre événement qui lui arrive prend à ses yeux d’immenses proportions, et qu’il se croit en conscience obligé d’en faire part au public ; Et le public, en effet, y prend plaisir, mais pas tout-à-fait comme le poète l’aurait souhaité.

Tous ces travers n’empêchent point le lecteur d’être attentif aux chants du poète. Souvent le poète y perd un peu, mais le livre y gagne ; il offre un intérêt de plus ; combien de livres nous attachent en même temps par les qualités de l’œuvre et par les défauts de l’ouvrier ! D’ailleurs,