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de soleil. Des moines de toutes couleurs fendent la foule en tous sens. Ici le padre, avec son grand chapeau à la Basile, coudoie le franciscain avec son froc bleu, sa ceinture en corde de soie et son large feutre blanc ; là passe le dominicain, avec son lugubre costume blanc et noir, qui fait souvenir de Torquemada, le fondateur de l’inquisition ; plus loin, le froc brun du capucin contraste avec les draperies blanches et flottantes du frère de la Merci. Des spectacles, des incidens variés se succèdent sans cesse au milieu de cette foule bigarrée et s’en partagent l’attention. Tantôt c’est le tambour de la caserne qui bat aux champs, les portes du santuario s’ouvrent à deux battans, une voiture en sort étincelante de dorures, les sons d’une cloche se mêlent aux roulemens des tambours, et toute la foule se découvre, s’agenouille et s’incline devant le saint sacrement qu’on porte à quelque mourant. Malheur à L’étranger philosophe ou ignorant qui dédaignerait de plier le genou ! Tantôt on voit déboucher sur la place un détachement de trois soldats escortés de six officiers et précédés de douze musiciens : c’est un bando de l’autorité suprême pour la promulgation duquel on déploie ce luxe ale musique et d’uniformes brodés. Tel est avant l’oracion l’aspect général de la plaza Mayor, vrai forum au milieu duquel le peuple de Mexico, le peuple souverain (c’est ainsi que ses flatteurs l’appellent), s’agite sous ses haillons, sans cesse en quête d’un nouveau maître à qui la puisse sacrifier le maître de la veille ; très insouciant d’ailleurs en fait de principes politiques, et prenant le désordre pour la liberté, sans se douter que les atteintes multipliées de l’anarchie pourraient bien un jour abattre le corps vermoulu de cette étrange république, déjà caduque après vingt-cinq ans d’existence !

Chaque soir cependant, aux premiers tintemens de l’Angelus, tout bruit cesse comme par enchantement sur la plaza Mayor. La foule frémissante s’arrête et se tait. Puis, quand les dernières vibrations des cloches ont expiré dans l’air, le mouvement renaît. La cohue s’écoule en tous sens, les voitures s’ébranlent, les cavaliers galopent, les piétons s’écartent, mais pas toujours assez promptement pour se dérober A. l’épée ou au lazo de hardis voleurs qui assassinent ou dévalisent ceux qu’ils choisissent pour victimes, quelquefois même en plein jour et à la face de tous[1]. La nuit venue, la place est déserte ; quelques rares promeneurs parcourent au clair de la lune le trottoir qui borde le parvis ; d’autres restent assis ou se balancent nonchalamment sur les chaînes de fer qui rattachent entre elles les bornes de granit du santuario. La journée est achevée, les scènes nocturnes commencent, et les léperos deviennent pour quelques heures les maîtres de la ville.

  1. Le journal le Siglo XIX, du 11 novembre 1845, publiait une plainte adressée à l’excellentissime ayuntamiento au sujet de voleurs qui auraient devancé même le déclin du jour et choisi l’heure de midi pour exercer leur redoutable industrie. La plainte et la réponse du conseil municipal sont deux documens aussi curieux l’un que l’autre.