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où l’on cherche vainement la trace d’un ensemble architectural. Ce manque d’unité s’explique par la manière même dont se sont formés ces édifices. Aucun plan harmonique ne pouvait exister dans des constructions où l’on se bornait à ajouter de nouvelles divisions à mesure, que le nombre des moines augmentait. Chaque monastère n’a qu’une porte qu’on ferme à l’entrée de la nuit. Les fenêtres, très petites, sont toujours hors de portée. Le haut des murs est couronné de constructions en bois, saillantes comme dans les maisons turques, et peintes en rouge sang. A l’intérieur, le plan général de ces couvens est un carré autour duquel sont entassées sur plusieurs étages toutes les cellules des moines sans aucun ordre symétrique et avec enchevêtrement d’escaliers et de loges en bois. Au centre est la principale église, entourée d’une foule de chapelles, dont l’architecture n’offre rien de curieux. La plupart de ces édifices, n’étant pas construits avec des matériaux durables, mais tout simplement avec des briques et du plâtre, se lézardent facilement, ce qui oblige les moines à de fréquentes restaurations, et amène ainsi une complète altération du style primitif. On aperçoit de tous côtés sur ces murs blanchis des peintures raides, tristes et austères qui forment un contraste singulier avec les belles têtes des moines caloyers et leur mine indolente et béate.

Après avoir parcouru des corridors obscurs, dont l’atmosphère est nauséabonde et l’aspect repoussant, je fus introduit dans la salle de réception du couvent d’Aghia-Labra. Avant de monter sur l’estrade qui s’élève au milieu de la salle, les moines qui m’accompagnaient quittèrent leurs babouches pour marcher nu-pieds sur les nattes, et nous allâmes nous asseoir sur des divans placés très bas tout autour de la salle. A hauteur des coudes et des coussins sont de petites fenêtres qui donnent sur la mer et d’où l’on aperçoit l’île de Lemnos. C’est là que les moines passent des heures entières sans prononcer une seule parole.

L’activité intellectuelle qui jadis animait à Aghia-Labra, comme sur tous les autres points de l’Athos, la population monastique est depuis long-temps éteinte. Les bibliothèques réunies dans les premiers siècles, et dans lesquelles on a retrouvé des œuvres littéraires dont on ignorait l’existence, au lieu de s’accroître comme autrefois de productions nouvelles, sont laissées dans le plus complet abandon. Les moines ignorent aujourd’hui jusqu’au titre des ouvrages qu’elles contiennent ; ils ne lisent que leurs offices, n’écrivent jamais, si ce n’est pour les besoins usuels de la vie, et, sauf de rares exceptions, restent dans la plus profonde ignorance. Quelques-uns seulement, appelés par les affaires du couvent à Salonique, profitent de leur séjour dans cette ville pour y recueillir des notions incomplètes sur la médecine et sur la langue turque. Les informes ébauches qui représentent aujourd’hui l’art byzantin au mont Athos ne prouvent que trop d’ ailleurs combien s’est abaissé le niveau intellectuel