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sol de l’arène sous le choc impétueux d’une bande de léperos qui se laissèrent glisser, à l’aide de leurs couvertures, des loges les plus élevées dans l’enceinte. Parmi ces forcenés qui hurlaient, gambadaient en détruisant les frêles cabinets de verdure, je ne fus pas surpris de retrouver mon ancien ami Perico. Sans lui, la fête n’eût pas été complète. Le monte Parnaso, avec ses foulards de coton, s’élevait seul au milieu des débris de toute espèce qui encombraient l’arène, et devint bientôt le point unique des regards et des efforts de cette populace. Tous essayèrent d’y grimper à l’envi pour s’emparer des foulards qu’ils convoitaient ; mais, comme il arrive toujours, les efforts des uns paralysaient les efforts des autres, et l’arbre restait debout sans qu’aucun des prétendans pût en embrasser la circonférence. Au même instant, la trompette retentit dans la loge de l’alcade, la porte du toril s’ouvrit et donna passage au plus magnifique taureau que les haciendas voisines eussent pu fournir. Malheureusement pour les assistais, qui comptaient voir les léperos aux prises avec un ennemi plus redoutable, le taureau était un embolado[1]. Les lauréats du monte Parnaso montrèrent néanmoins quelque hésitation et jetèrent du côté du toril un regard effrayé. Le taureau, après avoir hésité lui-même, se dirigea au galop vers l’arbre toujours debout. Quelques léperos s’enfuirent, et les autres, délivrés de cette concurrence, purent s’élancer les uns après les autres sur les branches du monte Parnaso. Une catastrophe était imminente ; le taureau, arrivé au pied de l’arbre qui abritait les léperos, donnait dans le tronc des coups de corne redoublés. Sous le poids dont les branches étaient chargées, l’arbre s’inclina bientôt de côté ; enfin, au moment où Perico faisait une ample moisson de foulards, il s’inclina davantage et s’abattit, entraînant dans sa chute une grappe hideuse de corps entrelacés. Des rires frénétiques, des applaudissemens enthousiastes éclatèrent parmi les douze mille spectateurs qui garnissaient les gradins et les loges, à l’aspect des malheureux qui, meurtris, éclopés, cherchaient à se dégager de leurs étreintes mutuelles et des branchages dans lesquels ils étaient enchevêtrés. Le taureau vint ajouter à la confusion en égrenant à coups de corne cette noire guirlande, et j’eus la douleur de voir l’infortuné Perico, lancé à dix pieds en l’air, retomber dans un état d’immobilité qui m’ôtait tout espoir de continuer jamais sous un maître si habile mes études encore bien incomplètes sur la vie mexicaine.

Au même instant où Perico était emporté à grand’peine hors de l’enceinte, cent voix s’élevèrent pour appeler un prêtre. Pray Serapio se tapit à ce moment dans un angle de la loge ; mais, quoi qu’il en eût, il ne put esquiver le devoir que lui imposait la volonté du peuple. Il se

  1. C’est-à-dire avec une boule à l’extrémité de chaque corne. Dans toutes les courses, c’est le taureau consacré à la populace.